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VIII - RIAILLE PENDANT LA REVOLUTION

(Le cahier de doléances de Riaillé)

Dans la seconde partie du XVIII° siècle, on ressentait partout en France comme un malaise qui précède un grand orage. Il était évidant que l'Ancien Régime n'était plus adapté avec les temps nouveaux. Avec les mœurs avaient évoluées de nouvelles idées et l'on ne supportait plus des institutions héritées de la féodalité, basées sur la division de la société en classes privilégiées et classes inférieures et donnant lieu à des injustices.

Les Français se partageaient inégalement en trois classes : la Noblesse, le Clergé et le Tiers-Etat.

Il y avait la haute noblesse avec les titres de princes, ducs, comtes et la petite noblesse besogneuse qui vivait souvent de revenus modestes. Il y avait le haut clergé des évêques, chanoines et dignitaires des abbayes et le bas clergé des paroisses rurales. Il y avait la grande bourgeoisie de l'Administration, du Commerce et de l'Industrie qui rivalisait de richesses et d'honneurs avec la haute noblesse et la petite bourgeoisie composée de fonctionnaires et hommes de loi occupant les petits emplois de l'administration royale ou seigneuriale. Il y avait le petit peuple des laboureurs, des artisans, des journaliers et des ouvriers d'ateliers. Au bas de tout cela, vivait le monde du sous-prolétariat formé de mendiants par nécessité. Enfin, il y avait les hors la loi, gens sans aveu, anarchistes de tous les temps, cachés dans les ruelles des faubourgs, qui servirent d'hommes de main, à Paris, aux meneurs révolutionnaires de 1789 à 1794.

Les idées nouvelles qui amenèrent la Révolution française ne vinrent pas du petit peuple qui n'avait pas les moyens d'en avoir et surtout de les exprimer. Elles furent répandues peu à peu, par ce qu'on appela les Philosophes et qui se recrutaient surtout parmi les privilégiés de la société : haute noblesse, grande bourgeoisie et même haut clergé. De ces hautes sphères, de ces gens de salon lassés d'être trop heureux, complotant contre le régime établi, soit par intérêt, soit par esprit de critique, souvent plus par snobisme que par conviction, ces idées nouvelles descendirent dans la moyenne et petite bourgeoisie avide de se faire une place plus grande au soleil.

La Révolution française ne fut pas l'œuvre du peuple des travailleurs mais celle de la bourgeoisie qui la détourna à son profit. Les régimes peuvent se succéder, il y aura malheureusement toujours des profiteurs et des exploités !

Le 24 janvier 1789, une lettre du roi Louis XVI annonçait la convocation prochaine des Etats Généraux pour discuter sur les réformes à faire dans les institutions. Il fallait d'abord convoquer les Assemblées Paroissiales appelées à rédiger des Cahiers de Doléances, exprimant leur avis sur les réformes à effectuer, notamment dans la répartition des impôts devenus très impopulaires parce que trop lourds pour les petites gens et surtout odieux par la multiplicité excessive des contraintes souvent importantes mais d'autant plus irritantes que l'on ne savait jamais quand on en aurait fini. A Riaillé, la convocation de l'assemblée paroissiale fut lue en chaire après le prône du dimanche 29 mars, par le vicaire de la paroisse, Missire Pierre Brouard, prêtre du 10 juin de l'année précédente. En d'autres paroisses, l'assemblée fut réunie le dimanche suivant, à Riaillé on était plus pressé, puisque la réunion se fit dés le mercredi 1er avril, au son de la cloche car on était convoqué à l'église.

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Cahier de doléances de Riaillé

 

Étaient électeurs et donc convoqués tous les hommes âgés de 25 ans qui payaient un minimum de l'impôt c'est à dire presque tous. A Riaillé, d'après le compte-rendu, il y avait 260 feux payant l'impôt et donc, il y aurait du avoir 260 électeurs présents. Or, il en vint exactement 33, ce qui montre le peu d'intérêt de la grosse majorité pour ces discussions auxquelles on ne croyait guère. On avait fait portant partout un battage considérable autour de ces idées nouvelles colportées et répandues à profusion par les clubs locaux, inspirés et financés par le Club central de Paris, le Club des Trente ou club des Patriotes. Le duc d'Orléans cousin du roi en était l'un des principaux appuis financiers. L'assemblée du 1er avril à Riaillé était présidée par le sénéchal de la juridiction du lieu, Auguste Roussel, qui avait succédé dans cette charge à la famille des Dubreil. Le cahier des doléances avait été préparé à l'avance par un petit groupe composé de trois hommes de loi : Auguste Roussel, René Chollet et Hyacinthe Ponthière, de trois commis de la Poitevinière et de la Provôtière : Auguste Garnier, François Meslin, Louis Pattier et sans doute de quelques autres.

La copie intégrale de ce texte a été conservée ainsi que le procès-verbal de la réunion donnant les noms des 33 électeurs présents. Les doléances exprimées en quelques 160 lignes résument assez bien les réclamations de l'ensemble de la population. Les rédacteurs du cahier mirent, bout à bout, sans ordre logiquement établi, les plaintes qui leur semblaient les plus urgentes à formuler.

I - Tout d'abord, ils demandent avec fermeté l'abolition d'une corvée qui leur a été imposée depuis un demi-siècle et qui pèse lourdement sur les travailleurs de Riaillé. On leur a donné à exécuter une partie du grand chemin de Châteaubriant à Nort et ce chantier est à 3 lieues de leur clocher. En réalité ce grand chemin a été fait en 1760 et 1761, mais il reste à l'entretenir continuellement et cela donne bien des pertes de temps pour les cultivateurs et les journaliers de Riaillé ainsi que pour leurs attelages de bœufs, d'autant qu'ils sont obligés d'y travailler pendant le temps de la moisson et même par les plus grosses chaleurs, ce qui a causé la mort de plusieurs de ces animaux frappés de congestion. Il faudrait donc supprimer cette sorte de corvée et comme les grands chemins servent à tout le monde, il serait juste que leur entretien soit assuré par une taxe en argent payée par tous, sans distinction, nobles ou non nobles, à partir de 3 livres d'impôt de capitation (par tête).

II - Les impôts dits de contrôle sur les ventes, la circulation des denrées, etc. sont énormes et surtout vexatoires. Qu'ils disparaissent !

III - Que pour les impôts soient établis des tarifs clairs et connus de tous et qu'on soit autorisé à porter plainte à l'occasion devant le juge le plus proche.

IV - Que soient supprimés tous les droits seigneuriaux, comme la possession exclusive des moulins, des colombiers, dont les pigeons nuisent aux récoltes, des garennes et refuges à conilles (lapins sauvages). Que chacun aient le droit de chasser sur son terrain les divers gibiers nuisibles aux cultures !

V - Il faut supprimer tous les tribunaux des juridictions seigneuriales. Que tous les délits et crimes relèvent désormais de la justice royale. Que les juges aient un traitement suffisant pour les rendre indépendants vis à vis de tous. Qu'ils n'achètent plus leur charge mais qu'ils soient nommés d'après leurs capacités dans la connaissance de la justice.

VI - Que tous les Français payent des impôts proportionnés à leurs ressources réelles sans distinction de classe noble, ecclésiastique ou roturière.

VII - On demande l'établissement de marchés le mardi de chaque semaine dans la localité de Riaillé

VIII - Que l'établissement du rôle de recrutement pour le service de la Milice soit laissé à l'administration de chaque paroisse et qu'en soient dispensés les fils de veuves et l'aîné d'une famille d'orphelins.

IX - On demande à redonner à l'impôt de la dîme sa destination première. La dîme avait été instituée pour l'entretien du clergé et des églises, ainsi que pour le soulagement des pauvres. Elle a été accaparée peu à peu par des seigneurs si bien qu'on a du la remplacer par des quêtes pour les besoins du culte. Que la dîme retourne donc aux recteurs des paroisses pour l'entretien de leurs églises et qu'on supprime les quêtes !

Après la lecture du cahier de doléances, il y eut une discussion de principe qui ne changea rien au texte établi à l'avance. Aussitôt le cahier fut signé par ceux qui savaient le faire, c'est à dire par 19 d'entre eux sur 33, puis le sénéchal apposa son cachet. Alors, on procéda à la nomination des trois délégués chargés d'aller à Nantes déposer le cahier à l'Hôtel de Ville. Ainsi furent désignés les sieurs Auguste Garnier, commis à la Provôtière, René Chollet procureur de Riaillé et demeurant au bourg, Hyacinthe Ponthière notaire demeurant à la Vallière.

Dés le lendemain, les trois délégués étaient à Nantes et prirent part ensuite à l'élection des députés envoyés par la sénéchaussée de Nantes à l'Assemblée des Etats Généraux dont l'ouverture se fit à Versailles le 5 mai 1789. Le 17 juin fut proclamé l'Assemblée Nationale Constituante dont les délibérations et les actes appartiennent à l'Histoire Nationale de la France.

Que devinrent pendant ce temps les 50.000 cahiers de doléances envoyés par les paroisses ? Ils furent laissés ficelés dans les paquets apportés par les députés et mis en tas dans une salle pour être étudiés par une commission nommée à cet effet. Personne ne s'en occupa, parce que l'on y croyait pas et ils dormirent dans la poussière des Archives pendant plus de 100 ans, jusqu'à ce que des historiens curieux vinrent les dénicher pour les étudier.

De cette Assemblée Nationale à Riaillé et partout, on attendait avec espoir un renouveau dans la société permettant de vivre plus heureux et plus libres. On ne savait pas très bien ce qui se passait à Versailles, à Paris et ailleurs. Rares étaient ceux qui lisaient les gazettes, où d'ailleurs les nouvelles se contredisaient suivant les positions tendancieuses des journalistes de l'époque. La prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, ne retint guère l'attention à Riaillé. Par contre l'abolition des privilèges votée dans la nuit du 4 août fut accueillie avec une vive satisfaction. Aussitôt quelques exaltés s'en allèrent à l'église gratter et badigeonner les armoiries seigneuriales, celles du baron d'Ancenis, de la cour du Bois, de Saint-Ouen et de la Meilleraie. On enleva même les bancs réservés à ces familles nobles. Seul le sieur Rousseau de la Meilleraie résidait dans la paroisse, il porta plainte devant le Tribunal d'Ancenis, qui fit savoir que si les insignes seigneuriaux n'avaient plus raison d'être, le droit de propriété existait toujours et donc que l'on devait remettre le banc à sa place.

 

(Les tribulations des prêtres Riailléens)

Le 13 février 1790, sous prétexte de supprimer tout ce qui pouvait faire obstacle à la "Liberté" l'Assemblée vota l'abolition de toutes les associations possibles civiles ou religieuses. Furent déclarés abolis les vœux de religion, chez les hommes comme chez les femmes et bien entendu les couvents et maisons religieuses furent confisqués et les biens vendus, y compris les chapelles, ornements, vases sacrés, bibliothèques, etc.

A Riaillé où l'on connaissait la décadence de l'Abbaye toute proche de Melleray, on ne plaignit pas trop les congrégations religieuses, mais on ne vit pas d'un bon œil la confiscation et la vente des biens de la paroisse, parce que ces biens étaient aussi ceux des paroissiens. La vente commença dés le début 1791. Le principal acquéreur des biens paroissiaux fut le citoyen Abraham Lemarié, originaire de Saint-Sulpice-des-Landes, marié à une fille de Riaillé Anne Poullain et installé avoué à Nantes. Le 17 janvier 1791, il achetait les biens des trois fondations, celles de Saint-Jean, de la Madeleine et du legs Fromentin. Ensuite, le 26 mai suivant, le citoyen René Chollet, achetait les terres dépendant de la cure. Le 26 juillet, les biens de Saint-Jacques de Bourg-Chevreuil étaient cédés à un certain Helbert de Nantes. Un an plus tard, le notaire Lebec d'Ancenis achetait ce qui avait appartenu à la Confrérie du Saint-Sacrement. D'un autre coté, la métairie de la Verrie appartenant aux moines était payée 9.300 livres par le citoyen Rousseau de la Meilleraie. Plus tard elle sera rendue, gratuitement, à l'abbaye lors de sa réouverture, par la veuve de l'acquéreur.

La grosse majorité des paroissiens se montra sévère pour les acquéreurs des biens des fondations pieuses. Tout le monde savait que ces maisons ou ces terres avaient été confiées à l'Eglise afin que leur revenu serve à faire dire des messes pour les défunts. Cela appartenait au domaine des morts et s'emparer de ces biens c'était voler les morts ! Les hommes de loi en furent surtout les acquéreurs, d'abord parce qu'ils avaient de quoi payer en or et ensuite parce que leur formation influencée par l'esprit du XVIII° siècle leur avait donné un esprit large, peu embarrassé par les scrupules. Cependant le clergé paroissial, recevant un traitement variant de 700 à 1.200 livres par an, ne se plaignait pas trop et continuait à exercer son ministère et à tenir les registres des baptêmes, mariages et sépultures.

Le 17 novembre 1790, fut voté par l'Assemblée Constituante la loi dite de la Constitution Civile du Clergé qui séparait le clergé français de l'autorité du Pape, chef de l'Eglise catholique, en faisant élire les évêques par les assemblées départementales et les curés par les assemblées des districts. En clair, l'Eglise catholique en France devenait une Eglise nationale et les prêtres devenus fonctionnaires devaient prêter serment à la Constitution.

A Riaillé, il y eut d'abord des désaccords entre le curé et le vicaire. Ce dernier, Pierre Brouard, bien que jeune prêtre, resta intransigeant et refusa énergiquement le serment. Son curé, Jacques Prud'homme fut beaucoup plus hésitant. Il consulta d'abord quelques-uns uns de ses confrères voisins, notamment le curé de Mouzeil fort avancé dans ses idées et celui de Teillé nommé Garnier qui avait de l'influence parce qu'il était docteur en théologie. Tous les trois décidèrent de prêter serment, en essayant de se persuader que cette loi n'allait pas à l'encontre de leur Foi. Le curé de Riaillé, prêta le serment demandé le dimanche 6 mars 1791. Mais peu de temps après, ayant appris que le Pape Pie VI avait formellement condamné cette forme de serment, le brave curé remonta en chaire le dimanche 6 mai suivant et déclara solennellement qu'il se rétractait pour libérer sa conscience.

Il y eut des remous dans la population de Riaillé. S'il encourait les blâmes de quelques-uns uns, il retrouvait l'estime et la confiance de la majorité de ses paroissiens dont la foi simple les mettait en défiance contre les nouveautés. Le curé Jacques Prud'homme et son vicaire Pierre Brouard furent officiellement exclus du nombre des prêtres autorisés à exercer le culte dans les paroisses. Ils y restèrent cependant encore un an environ, pour la bonne raison que le district d'Ancenis ne pouvait pas trouver pour Riaillé un prêtre ayant prêté serment. Le maire était alors René Chollet, ancien procureur de la Cour du Bois, il se trouva embarrassé devant la situation. Le curé et le vicaire ayant refusé le serment, il essaya de les garder à Riaillé, en proposant au District d'Ancenis de leur donner la charge d'assurer gratuitement l'instruction des enfants "C'était, écrivait-il, le moyen d'avoir de suite des instituteurs instruits et de bonnes mœurs". Cette proposition, un peu naïve, fut rejetée.

Dés le 30 juin 1791, le District d'Ancenis avait reçu l'ordre du département d'arrêter tous les prêtres refusant le serment. Il répondit qu'il ne pouvait pas s'en charger, du moins dans les campagnes, car il craignait de priver un trop grand nombre de communes de l'exercice de la religion ce qui exciterait le mécontentement des paysans.

Le 10 novembre suivant, ce même District à qui on avait demandé une enquête sur l'état d'esprit des campagnes au sujet de la constitution civile du clergé répondait : "Les gens des campagnes sont peu éclairés et donc incapables de juger en cette matière délicate. Ils se sont laissés entraîner par les prêtres dissidents. Il faut prévoir un schisme fâcheux et pour cela remplacer les prêtres réfractaires par des prêtres insermentés."

Mais la difficulté était de trouver assez de ces prêtres insermentés. Dans le District d'Ancenis, sur 68 prêtres en exercice, 20 seulement avaient prêté serment tout d'abord et plusieurs se rétractèrent ensuite, si bien qu'en 1792, sur 28 paroisses, 14 seulement seront pourvues de prêtres dits constitutionnels, dont un ex-religieux et un prêtre venu d'ailleurs. La municipalité de Riaillé fit tout son possible pour garder ses prêtres traditionnels, mais à la fin elle dut céder aux circonstances et aux ordres du District. Le curé Jacques Prud'homme assura le service religieux jusqu'à Pâques 1792, mais il dut partir le lendemain à Nantes sous la menace d'y être conduit par les gendarmes.

Son vicaire, Pierre Brouard, resta à Riaillé jusqu'à l'arrivée du curé constitutionnel, le 20 avril 1792. Il resta dans les environs, mais fut obligé de se réfugier à l'étranger, en Angleterre. Il y resta peu de temps, revint au pays et vécu caché dans la population exerçant un ministère clandestin sur Riaillé, Bonnoeuvre, Pannecé et Saint-Mars-la-Jaille. Il y courut de grands dangers, mais trouva toujours le dévouement fidèle de chrétiens risquant leur vie pour le cacher et le nourrir au plus fort de la terreur. Quand Bonaparte restaura la paix religieuse, Pierre Brouard fut nommé curé de la Rouxière, puis de Bonnoeuvre sa paroisse chère où il mourut le 20 avril 1816, âgé de 55 ans, laissant le souvenir d'un saint curé.

Le 20 avril 1792, Le curé constitutionnel arrivait à Riaillé, il s'appelait Jean-François Gonthière. C'était un prêtre étranger au diocèse, un ancien moine augustin de Beaugency près d'Orléans. Il avait été appelé à Nantes par l'évêque constitutionnel Julien Minée, qui l'avait nommé vicaire épiscopal. Il fut assez bien accepté à Riaillé parce qu'il sut se montrer aimable et paisible, ne cherchant pas à s'opposer aux prêtres clandestins qui venaient dans sa paroisse. De fait, du 25 avril au 7 novembre 1792, on trouve sa signature à 38 baptêmes, 12 mariages et 13 sépultures, ce qui fait 63 actes religieux en 6 mois et demi, donc pratiquement tout le ministère.

En novembre 1792, les registres d'état civil furent enlevés aux curés et confiés aux municipalités. Jean-François Gonthière s'occupa des registres civils du 5 juillet 1793 au 10 ventôse de l'an II (28 février 1794). Entre temps les registres furent signés par plusieurs officiers municipaux. Dés le début de mars 1794, il sut que la situation allait se gâter dans la région où les survivants de la guerre vendéenne affluaient pour organiser la chouannerie. Il quitta le pays à temps pour retourner à Beaugency, d'où il écrivit le premier septembre au Directoire du District d'Ancenis, pour renoncer à la cure de Riaillé et à la prêtrise. Il revint plus tard à Nantes, pour devenir fonctionnaire dans l'administration du département, habitant 5 place de la Concorde.

Il s'intéressait encore à Riaillé, puisque lorsque l'église et le presbytère furent mis en vente, il acheta d'abord le presbytère et ses dépendances le 2 septembre 1796 pour 1.260 Francs, puis l'église et le cimetière le 12 mars 1797 pour 360 Francs seulement. Il voulait, sans doute, faire une bonne œuvre en souvenir de son passage à Riaillé car il revendit peu de temps après, le 15 septembre 1797, à un groupe de ses anciens paroissiens, l'église et le cimetière pour une somme modique non indiquée dans l'acte de vente et le presbytère pour 56 Francs, ce qui tendrait à prouver qu'il n'avait acheté tout cela que pour empêcher la vente à un acquéreur dangereux.

Les dix Riailléens, co-acheteurs étaient : René Bourcier de la Barre-Théberge, Pierre Piquin de Saint-Louis, Mathurin Renard maréchal à la Jardière, Jean Guinouet métayer à la Bûchetière, René Voisin métayer à la Bûchetière, Etienne Blain menuisier au bourg, Julien Lequippe cultivateur à Bourg-Chevreuil, Marie Bourgeois veuve de François Bourcier cultivatrice à la Haye, Jean Lebâcle cultivateur à la Noë, Jean Roux cultivateur à Bourgchevreuil. Un seul était du bourg, tous les autres vivaient dans les villages.

On ignore ce que devint par la suite, Jean-François Gonthière.

 

(L'incident du 18 mars 1792)

La guerre était aux frontières et demandait de plus en plus de soldats. Dés le début de 1792, on fit appel aux volontaires. Ce fut l'occasion d'un affrontement sanglant entre les jeunes gens de Joué-sur-Erdre contre ceux de Riaillé, puis contre la garde nationale.

Le dimanche 18 mars 1792, se tint à Riaillé, chef lieu de canton, un rassemblement pour le recrutement de volontaires destinés aux troupes en ligne. Le matin il y eut querelle entre des adolescents des deux localités, les jeunes Riailléens jetèrent des pierres à des Jovéens du même âge qu'eux. L'un d'entre eux, le jeune Aubin Forget fut jeté, sans ménagement, en bas du mur du cimetière où il était juché. Il s'ensuivit une bagarre générale, puis le calme revint. En début d'après midi, seuls trois jeunes gens avaient accepté d'être engagés, ils étaient tous les trois de la commune de Joué. Ils s'aperçurent rapidement que la prime d'engagement promise tardait à être distribuée. Finalement, il leur fut répondu que rien n'avait été prévu et que cette prime leur serait versée à leur arrivée dans leurs affectations respectives. Les esprits s'échauffèrent rapidement, aidés en cela par les libations excessives de la matinée, les jeunes de Joué se regroupèrent dans la "champagne" (la lande) derrière l'"Auberge de l'Ecu de France" située au haut du bourg (café Delanoue pendant une grande partie du XX° siècle). Invectivés par les jeunes de Riaillé, ils chargèrent à coups de bâtons ces derniers et le sieur Cornillet de la garde nationale de Joué blessa un enfant de Riaillé d'un coup de sabre. Prévenue, la garde nationale de Riaillé commandée par l'adjudant major, François Meslin, chargea baïonnette au canon le rassemblement jovéen blessant grièvement plusieurs des manifestants. François Guèrin, âgé de 25, mourut le lendemain 19 mars à 3 heures du soir dans une chambre du premier étage de l'Auberge de l'Ecu de France.

Un rapport abracadabrant de plusieurs pages fut rédigé par Auguste Garnier qui présidait le conseil de recrutement. Visiblement, plusieurs personnes à la fois lui dictait le texte. Il peut se résumer en quelques mots : je n'étais pas là, je n'ai rien vu, je n'ai rien entendu, je ne sais rien et je vous jure que je n'y suis pour rien ! Il rejetait la responsabilité de l'incident sur les gens de Joué affirmant qu'il y avait eu "un complot de l'aristocratie pour empêcher l'enrôlement des soldats".

Une plainte datée du 25 mars 1792 fut déposée par la municipalité de Joué qui réclama la séparation de leur commune du canton de Riaillé et son rattachement à celui de Nort. Plusieurs témoins témoignèrent lors de l'enquête menée par les autorités départementales. Aucune décision ne fut prise.

[L'un des principaux témoins fut Paul Modiré, ouvrier boulanger, chez Jacques Guérin le tenancier de l'Auberge de l'Ecu de France. Ce dernier était également boulanger et officier municipal, il fut assassiné par les chouans deux ans plus tard. Un Paul Modiré, né le 18 août 1776 à Riaillé, figure en 1825 sur la liste des demandeurs de pension en tant qu'anciens chouans. S'agit-il du même personnage ? Si oui, était-il chouan avant l'assassinat de son patron ? Ou le devint-il après ?

"Le 12 octobre 1792, le Directoire accepte le don de 200 livres fait par le citoyen Garnier, de Riaillé, afin d'armer et équiper deux citoyens du canton qui se présenteront les premiers pour marcher à la frontière." (E.Maillard "Histoire d'Ancenis et de ses barons" page 161.]

 

(La conscription et ses conséquences)

1793. Après la mort du roi Louis XVI sur l'échafaud du 21 janvier, la pression s'accentua aux frontières. Une loi du 24 février 1793 fut promulguée sur la levée de 300.000 hommes. Chaque commune devait fournir un nombre déterminé de recrues suivant sa population.. Riaillé devait en fournir 10. La loi prévoyait le déroulement des opérations. Pendant trois jours, un registre serait ouvert pour les inscriptions des volontaires. Si le nombre n'était pas atteint, on complèterait par un vote de l'assemblée à la pluralité des voix, pour désigner les partants en prenant d'abord les célibataires et les veufs sans enfants. Les fonctionnaires de l'administration et les membres de la garde nationale étaient dispensés du service militaire. Ce fut la révolte un peu partout.

1793. Le 10 mars, les jeunes gens de Saint-Mars-la-Jaille se battirent contre la force publique, ce qui fit plusieurs morts.

1793. Le 13 mars également, une troupe importante évaluée à 6.000 hommes, venus des communes environnantes se porta sur Ancenis pour s'emparer de la ville. Ces insurgés armés de quelques fusils de chasse, de fourches et de bâtons trouvèrent en face d'eux 400 gardes nationaux et 150 soldats de ligne tous bien armés et soutenus par des canons. Ce fut un échec et la troupe des paysans dut se retirer laissant 60 morts sur le terrain.

Le même jour, le local où étaient entreposés les registres de l'état civil de Riaillé fut attaqué. Celui des naissances pour l'année 1774, année désignée pour le recrutement, fut déchiré aux trois-quarts. La municipalité affolée fit appel aux voisins, le secours vint d'Auverné (Grand-Auverné) avec en tête de sa garde nationale le maire Joseph Juton et le citoyen Cathelinays. Les esprits se calmèrent provisoirement, d'autant que des gendarmes de Candé furent affectés à Riaillé. Cette faible garnison se replia à plusieurs occasions sur son cantonnement et dut revenir, chaque fois à son poste, avec injonction de ne plus céder à une "terreur panique sous peine d'être taxés de lâcheté" !

Il fallut tout de même que Riaillé fournisse ses dix hommes, dont la liste n'a pas été conservée. Plusieurs n'en revinrent pas comme Louis Bodier, incorporé dans les dragons de Sambre-et-Meuse qui mourut d'une fièvre putride à l'hôpital de Tirlemont en Belgique, le 26 mai 1795. Quelques jeunes refusèrent de partir, ils se cachèrent non loin du domicile de leurs familles. L'environnement de Riaillé, riche en forêts, s'y prêtait.

 

(La période de la Terreur)

1793. Après les évènements du 13 mars, le Directoire du District d'Ancenis se montra fort soupçonneux envers certains officiers municipaux de la commune. Le 28 mars, il envoya des gendarmes à Riaillé pour y arrêter l'ancien maire René Chollet, soupçonné d'avoir aidé un suspect Jean-Baptiste Estafet, soupçonné d'être un chef des insurgés. Mis en prison à Ancenis, il fut relâché dès le lendemain sur l'intervention énergique de la municipalité de Riaillé affirmant le parfait civisme du détenu. Néanmoins, pour prix de sa liberté, René Chollet dut verser une caution de 3.000 Francs ! Le citoyen Hyacinthe Ponthière, ancien notaire, qui avait été l'un des rédacteurs du cahier des doléances, fut déclaré suspect d'émigration car il avait quitté le pays. Sa maison et ses biens de la Vallière furent confisquées et mis en vente.

1793. Le 18 avril Ancenis se sentant menacé appela tous les gendarmes des environs. Ce renfort jugé insuffisant, le District demanda du secours aux municipalités. Il fut demandé à Riaillé de fournir 100 hommes et six tonneaux de blé pour leur nourriture.

1793.Le 7 juin, c'était au tour de Riaillé de manifester sa crainte. Le District d'Ancenis lui répondit de ne pas s'affoler, on allait diffuser une liste de 50 traîtres dissimulés dans les administrations communales. La lettre continuait "Il y a sans doute dans ce district des communes aristocrates, mais vous les citoyens de Riaillé, vous avez donné des preuves répétées de votre patriotisme. Pour plus de sécurité, formez une association étroite avec les communes de Joué, Teillé, Mouzeil, Mésanger, et les Touches et mettez vos forces en commun." Le conseil fut entendu et ainsi se créèrent des groupes de communes dites patriotes opposées à d'autres dites aristocrates. En réalité, la majorité des gens de la campagne était faite de gens paisibles, mais dans chaque commune une minorité d'exaltés et influents faisait la loi ou du moins donnait le ton, dans un sens ou dans l'autre. Plus tard, de 1794 à 1796, lorsque les chouans s'organisèrent, ils trouvèrent des sympathies et de la collaboration active même dans les communes patriotes. Tout était mélangé et dans beaucoup de familles, un frère était d'un coté et un frère de l'autre.

[Pour illustrer le propos de l'abbé Trochu : la mère de Prudent Huguenin, qui devint capitaine des chouans de Riaillé, était la sœur de Abraham Bernardin Lemarié, commandant de la Garde Nationale de Riaillé, assassiné par les chouans. Leur frère, Jean-Jacques Lemarié, prêtre réfractaire, fut emprisonné en 1791, libéré grâce à Abraham il fut remis plusieurs fois en prison entre 1792 et 1802. Anne Françoise Poullain, épouse de Abraham portait le même nom que Anne Jeanne Rose Poullain de la Maison de la Rivière à Pannecé, belle-mère de Pierre-Michel Gourlet, chef des chouans de la région, instigateur du massacre des patriotes de Riaillé ! Etaient-elles parentes ?]

Pour essayer de comprendre l'état d'insécurité qui régnait en juin 1793 et dans la suite, il faut se remettre dans l'ambiance du temps. Au sud de la Loire, la Vendée Militaire menaçait sérieusement la convention et s'opposait souvent avec succès aux armées républicaines. A Paris, c'était la lutte à mort entre les Montagnards et les Girondins, qui furent finalement vaincus et envoyés à la guillotine, sauf ceux qui réussirent à s'échapper à la campagne. Les Montagnards vainqueurs organisèrent le gouvernement révolutionnaire avec à sa tête le Comité de Salut Public présidé par Robespierre. Pour renforcer ce pouvoir, furent créés le Comité de Sûreté Générale et le Tribunal Révolutionnaire, qui jugeait sans appel, d'une façon arbitraire et expéditive et qui ne laissait pas chômer la guillotine. A partir d'octobre 1793, furent envoyés dans les départements des Représentants du Peuple, munis de pouvoirs exceptionnels et accueillants favorablement toutes les dénonciations même les plus fantaisistes. A Nantes régnait le sinistre Jean-Baptiste Carrier responsable de la noyade de plusieurs dizaines de milliers de personnes.

1793. Le 23 novembre, la Convention publia un décret pour fermer et désaffecter tous les édifices religieux, églises, temples et synagogues. Ce décret ne fut pas appliqué totalement par toutes les municipalités, mais en beaucoup d'endroits on brisa les autels, les croix et les statues des églises ou des cimetières. Les municipalités reçurent l'ordre de confisquer les vases sacrés pour être envoyés à la monnaie, de descendre et fondre les cloches pour en faire des canons et dans plusieurs communes, on reçut l'ordre réitéré trois ou quatre fois de rendre les cordes des cloches que les paysans avaient gardées pour leur usage ou pour les conserver.

A Riaillé, pas plus qu'ailleurs, on n'acceptait de gaîté de cœur toutes ces nouveautés, certaines ridicules, les autres inspirant la terreur. D'autant plus, qu'après la récolte fort médiocre, se multiplièrent les réquisitions de céréales. Et voici qu'avec cette fin d'année, nos localités se virent engagées dans les suites des désastres de l'armée vendéenne. Battus au Mans, les débris de cette armée où se mélangeaient les combattants, les femmes et les enfants avec des vieillards en grand nombre, se précipitèrent vers la Loire par Laval, Pouancé, puis Saint-Mars-la-Jaille et enfin Savenay. La cavalerie du général Westermann laissa partout des traînées de cadavres sur les chemins, dans les fossés et dans les champs. Plus d'un mois après, en février 1794, il y en avait encore beaucoup à découvert ou à peine recouverts d'un peu de terre. L'officier de santé, Jean-Clair Terrier réclama plus de 100 barriques de chaux vive pour mettre sur les charniers des communes de Soudan, Erbray, Saint-Julien, Juigné, La Chapelle-Glain, Moisdon, Grand et Petit Auverné.

Pour le district d'Ancenis ce fut pire encore, car ne pouvant passer la Loire s'éparpillèrent un peu partout les foules lamentables et épuisées de femmes, de vieillards et d'enfants. Les fantassins républicains suivant la cavalerie complétaient le massacre sans rémission. Des groupes locaux, se qualifiant de patriotes, pourchassaient les fugitifs dans les fermes et les bois souvent pour les dépouiller.

["Il n'y a plus de Vendée, citoyens républicains, elle est morte, sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l'enterrer dans les marais et les bois de Savenay. Suivant les ordres que vous m'avez donnés, j'ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré des femmes qui, au moins pour celles-là, n'enfanteront plus de brigands. Je n'ai pas un prisonnier à me reprocher. J'ai tout exterminé" Lettre du général Westermann au Comité de salut public]

Les autorités civiles firent une obligation aux municipalités d'activer leurs gardes nationaux dans cette chasse aux "brigands de la Vendée". Plusieurs municipalités hésitaient à obéir à ses ordres, alors le District d'Ancenis se fâcha et envoya une circulaire aux 28 communes de son ressort. Cette lettre mérite d'être citée en entier, dans son intégralité, pour montrer les dispositions d'esprit des fonctionnaires en charge.

"Vous n'avez pas perdu de vue sans doute notre lettre du 5 de ce mois, qui vous recommandait de faire constamment des patrouilles et d'arrêter sans ménagement tous les brigands de la Vendée qui se réfugieraient sur votre territoire. Nous vous disions aussi de veiller sur ceux de vos habitants qui ayant été dans la Vendée étaient rentrés dans leurs domiciles, de recevoir leurs déclarations et leurs armes. Si nous vous tenons ce langage, si nous ne vous recommandions pas précisément de faire arrêter ces personnes, c'est que nous crûmes plus politique de les laisser rentrer et déposer leurs armes, pour les saisir avec moins de danger et pour n'en laisser échapper aucun.

Actuellement, il faut que sans être arrêtés par aucune prévention, par d'anciens liens de famille, de parenté ou d'intérêt vous fassiez arrêter tous ceux qui ont porté les armes contre la République, particulièrement ceux qui ne sont rentrés dans leurs foyers qu'après la déroute du Mans et de Savenay. Pensez que tout modérantisme compromettrait notre responsabilité et que si vous manquiez de nerfs dans une circonstance si importante, vous vous exposeriez à mettre votre tête sous le glaive de la Loi. Si nous vous tenons ce langage, c'est par intérêt pour vous et non que nous vous croyions coupables de négligence et de mollesse. Désormais, nous ne vous répèterons pas ces recommandations, mais nous serons obligés de vous dénoncer au Comité de Salut Public."

La menace était grave pour les dirigeants des communes. Le maire de Riaillé n'était plus Pierre Rabu, mais Auguste Garnier le directeur des Forges. C'était un républicain modéré par nature, mais il était dépassé par les évènements. Le 18 janvier 1794, il demandait un cantonnement de troupe pour garder la forge de la Provôtière, songeant sans doute aussi à sa propre sécurité ! Si le maire était modéré, la commune de Riaillé était considérée comme bonne républicaine par l'Administration, surtout à cause du zèle déployé par sa garde nationale.

1793.Le 8 février, le District d'Ancenis écrivait à Riaillé : "Nous avons lu votre procès-verbal relatif à la recherche des brigands, à leurs arrestations et à celles des gens suspects dans votre commune et dans celle de Pannecé. Nous applaudissons à votre zèle et à celui de votre garde nationale." Ainsi la commune de Riaillé, était chargée de surveiller celle de Pannecé, commune jugée aristocrate. La garde nationale de Riaillé avait donc arrêté et livré à Carrier, donc voués à la mort, des fugitifs vendéens et ceux qui les cachaient. Aucun document n'en donne le chiffre, mais il a du être important pour avoir mérité les applaudissements du District.

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