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VI - L'INDUSTRIE DU FER

(Les forges de Riaillé : la Poitevinière, la Provôtière, la Vallée)

Dés l'époque préhistorique, les hommes se sont servis d'outils pour travailler et d'armes pour chasser et se faire la guerre. Ce furent d'abord des objets en pierre taillée ou polie, des pieux en bois durci au feu, puis vinrent les métaux c'est à dire l'étain, le cuivre, le bronze et enfin le fer. Nos ancêtres trouvèrent le minerai de fer en beaucoup d'endroits. Dans notre région, les carrières ou galeries de minerai ne dépassaient guère six ou sept mètres de profondeur. Bien entendu, il n'y a pas de comparaison à effectuer avec nos exploitations minières contemporaines.

Un peu partout le long de nos forêts, se trouvent des traces nombreuses de petites fonderies et de petites forges à bras. On y fondait le minerai de fer avec les arbres des forêts, on y activait le feu avec des soufflets plus ou moins gros et on y battait le fer pour l'affiner à la force des bras. Les forgerons avaient une place bien marquée dans la société, ils formaient de rudes gaillards, musclés, travailleurs, très indépendants et pas faciles à fréquenter. La classe des seigneurs les respectait, d'autant plus qu'elle en avait besoin pour ses armes et les fers de ses chevaux.

Vers le haut du Moyen-Age, on apprit à se servir de la force de l'eau, faisant tourner des roues à palettes pour activer les soufflets des fonderies et les marteaux pilons des forges. C'est alors que l'on se mit à construire des barrages sur les ruisseaux pour constituer des réserves d'eau. Alors apparaissent les premiers étangs, dont la plupart ont disparus du moins tels qu'ils étaient. Car dés avant le XVI° siècle, l'industrie du fer s'étant étendue, on se mit à faire de plus grands barrages. Les derniers datent du début du XVII° siècle tel celui de la Forge Neuve en Moisdon. Ces étangs furent particulièrement nombreux dans la région de Châteaubriant car, très tôt, ses barons encouragèrent l'industrie du fer.

Les barons d'Ancenis en faisaient autant. Ils avaient du minerai de fer et ils avaient du bois dans leur forêt. L'établissement le plus ancien et le plus important fut la Poitevinière de Riaillé. Nous en saurions davantage si les archives de la baronnie d'Ancenis avaient été conservées. Elles brûlèrent durant la Révolution en 1793.

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Le Haut-Fourneau de la Poitevinière en 2001

 

Le premier document officiel connu signalant l'existence d'un haut fourneau à la Poitevinière date du 2 décembre 1559. L'année précédente, en juillet 1558, la ville de Nantes craignant d'être attaquée par des troupes formées de seigneurs protestants des environs, fit appel au roi Henri II. Celui-ci donna la permission de prendre dans le château tout ce que l'on pouvait trouver comme d'objets en bronze. On en trouva pour 1.500 livres (750 kg). Avec ce bronze, on fit 12 canons qui furent baptisés du nom des 12 apôtres. Pour alimenter ces bouches à feu, on s'adressa à la baronne d'Ancenis, dame Louise de Rieux, qui avait épousé le marquis d'Elbeuf, René de Lorraine, mais qui avait gardé la jouissance personnelle de la baronnie donc des forges de Riaillé. Le 2 décembre 1559, la dite dame fournissait à la ville de Nantes le poids total de 4.000 livres de boulets de canon provenant de la fonderie de la Poitevinière, qui lui furent payés 240 livres tournois. Les canons étaient de petit calibre, chaque boulet pouvait peser un kilogramme, il devait donc y en avoir environ 2.000.

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Schéma d'un Haut-Fourneau Type Poitevinière

Les comptes de la ville de Nantes ne font pas mention de commande de boulets à d'autres fonderies. Cela voudrait dire que la Poitevinière était la seule capable d'exécuter le travail dans le comté de Nantes. Il y avait bien d'autres fonderies au nord, comme celles autour de Châteaubriant, mais elles relevaient du comté de Rennes.

Une tradition locale rapporte que l'étang de la Poitevinière aurait été creusé par des prisonniers espagnols. Un fait historique pourrait appuyer cette tradition, en partie du moins. Le prince de Condé victorieux des espagnols à Rocroi en 1643 fit de nombreux prisonniers. Un groupe de 120 de ces hommes fut amené à Nantes et enfermé dans une tour de la ville appelée depuis la Tour des Espagnols. Il est donc possible qu'une équipe fusse accordée au Maître des Forges de Riaillé pour aménager et creuser l'étang de la Poitevinière qui existait depuis longtemps.

[La même légende se raconte pour l'étang de Chohun prés de Châteaubriant !]

Vers le milieu du XVI° siècle, l'industrie du fer ayant pris une telle importance à Riaillé que la Poitevinière ne suffisait plus. Un nouveau barrage fut établi sur le ruisseau du Jeanneau, à environ 2 km plus bas, ce qui donna l'étang de la Provôtière et on y installa un autre établissement industriel spécialisé dans la fabrication du fer. On fit alors la distinction entre le Fourneau de la Poitevinière et la Forge de la Provôtière.

[La fonte est le métal recueilli après la fusion du minerai dans le haut fourneau. C'est un alliage de fer et de carbone (plus de 2,5 % de carbone). L'affinage est la transformation de la fonte en acier (moins de 1,8 % de carbone par réduction du taux de carbone dans l'alliage. La méthode utilisée alors était le  martelage des barres de métal, qui peu à peu réduisait le pourcentage carbone.

Les lingots de fonte étaient parfois refondus pour faciliter l'élimination des impuretés appelées scories et leur transformation en barres de dimensions convenables pour être chauffées "à blanc" et ensuite martelées pour confectionner le type d'acier dont on avait besoin. Ces types varient de nos jours en : extra-dur (plus de 0,70 % de carbone), dur, demi-dur, doux, extra-doux (moins de 0,15 %). Les aciers durs étaient (et sont toujours) utilisés pour fabriquer les outils tranchants tels que couteaux, ciseaux, sabres, etc. Après un nouveau martelage pour leur donner leur forme définitive, ils étaient chauffés à couleur "rouge cerise" et trempés dans l'huile ou l'eau pour les durcir, ce qui leur donnait une structure résistante à l'usure mais cassante.

Le fourneau qui servait à transformer le minerai en fonte s'appelait un "haut fourneau" parce qu'il était rempli par le haut, celui qui servait à couler la fonte en barres pour sa transformation en acier ou en articles en fonte sophistiqués s'appelait un fourneau à marchandise ou cubilot.]

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Transformation du minerai en fer marchand

Un peu plus tard, un troisième établissement fut créé. Construit près d'un étang moins important, celui de la Vallée situé sur la paroisse de Joué et alimenté par le déversoir de l'étang de la Provôtière. On y étirait le fer pour fabriquer le fil de fer, les clous, les barres destinées aux taillandiers, forgerons, etc. Ce type d'établissement s'appelait une fenderie. L'étang de la vallée fut asséché après l'arrêt des Forges de Riaillé

Au début, le minerai fut exploité à Riaillé comme à la Ferrière, mais bientôt il fallut aller le chercher plus à l'ouest dans d'autres endroits vers la Meilleraye et en direction d'Abbaretz. Des documents citent les mines à ciel ouvert du Rouillon, du Houx, de l'Arche, du Grand Taillis, de la Vieille Blandais, de Fontaine Fermée, etc. Elles n'étaient, pour la plupart, que des carrières à ciel ouvert ne dépassant pas 7 mètres de profondeur. Les équipes de mineurs travaillaient avec les outils de l'époque : pics, pioches et pelles. Le minerai arraché au sol était monté à l'extérieur soit par une rampe, soit par poulies. Là, on faisait un premier triage afin d'enlever le plus gros de la gangue c'est à dire les matières pierreuses ou terreuses mélangées au minerai.

Alors intervenait l'équipe des transporteurs. Comme les chemins n'étaient pas toujours praticables pour des chariots, on employait surtout des chevaux et des mulets, sur le dos desquels on attachait des sacs solides pendant des deux cotés. C'était le transport par saquetées. Les hommes qui dirigeaient les longs convois s'appelaient des saquetiers et le chemin suivi était le chemin des saquetiers.

Le minerai ainsi apporté à proximité de la fonderie était réparti dans des tas différents selon sa provenance, car chaque mine était classée suivant les qualités attribuées à son produit. Ainsi, le Rouillon donnait beaucoup de fonte mais aigre et cassante, le produit de l'Arche était limoneux, c'est à dire mélangé avec de la terre glaise mais donnait du bon fer que l'on nommait le "salard", celui du Houx était d'excellente qualité mais peu intéressant pour la fonte, celui du Grand Taillis était excellent en tous points, celui de la Vieille Blandais était léger, peu riche, mais ajoutait de la qualité à la fonte, enfin celui de la Fontaine Fermée était riche mais réfractaire c'est à dire plus difficile à fondre. C'est pourquoi cette dernière mine était appelée la Mine Froide.

Le minerai trop limoneux était après le premier triage était lavé. Pour cela on le mettait dans des caisses percées de trous, que l'on plaçait dans un courant d'eau. On l'y remuait avec des pelles le temps qu'il fallait pour le rendre propre.

A coté du minerai, on pouvait voir des tas de pierres blanches appelées "castines". Les saquetiers amenait cette castine des carrières de pierre à chaux d'Erbray. La castine est un fondant, elle facilite la fonte du minerai de fer.

Par ailleurs, venaient s'entasser les piles de bois destinées à chauffer les fourneaux. Le bois se prenait dans la forêt voisine. Des groupes de bûcherons abattaient les arbres désignés par les gardes forestiers et en faisaient des bûches coupées et taillées à la dimension voulue. En général, le bois était amené par des chariots empruntant les allées forestières assez bien entretenues. Les branches étaient mis en fagots et vendues aux particuliers. Jusqu'au XVI° siècle, le faiseur de fagots s'appelait un "trocheu" qui en vieux breton signifie tailleur de branches. Le bois servit longtemps de combustible dans les bas fourneaux, pour les fonderies et les forges, mais on s'aperçut assez vite que le charbon de bois chauffait plus fort. Alors se développa davantage la vieille corporation des charbonniers. C'étaient des hommes d'humeur assez particulière, vivant en solitaires dans les bois où ils avaient leurs huttes et cabanes, constamment occupés à la confection et à la surveillance de leurs "fouées"

Sur une aire de terre bien battue, ils disposaient une sorte de cheminée avec de grosses bûches, puis ils plaçaient tout autour des rangées de rondins debout, sur trois étages superposés. On en faisait ainsi une meule d'un bon mètre de hauteur, parfois plus, que l'on recouvrait d'une couche de terre et de mottes de gazon. Tout autour de la base était pratiqué des trous d'aération qui faisaient appel d'air vers le haut. Le feu était mis à la meule en jetant des braises allumées et des brindilles dans la cheminée. Quand la fouée était bien allumée, on bouchait l'ouverture supérieure puis on perçait des trous en évents dans la partie la plus élevée. Il en sortait de la fumée blanche et épaisse, mais lorsque cette fumée devenait légère et bleue claire, on fermait les évents pour en faire d'autres un peu plus bas. On continuait la même manœuvre jusqu'à ce que les derniers trous atteignent la base. Alors on fermait tout et l'on et on n'avait plus qu'à démonter pour recueillir le charbon.

C'était tout un art de bien disposer les meules et d'en entretenir la combustion, de veiller à la direction du vent même léger, de changer à temps les trous d'aération. La surveillance était de jour comme de nuit, car une fouée ratée c'était plusieurs jours de travail perdus.

Une fois que tous les matériaux étaient amenés à pied d'œuvre : minerai, castine, bois, charbon, c'était au maître fondeur d'entrer en action. C'était un personnage important, car le succès de l'établissement reposait sur sa science et son expérience. Il avait à sa disposition un fourneau, et même deux, fonctionnant en même temps ou se remplaçant en cas de réparations nécessaires. Le fourneau était une sorte de tour à parois très épaisses et garnies à l'intérieur de briques ou de terre réfractaire pouvant résister à de fortes températures. Sa forme intérieure était semblable à celle du verre d'une vieille lampe tempête. Le fourneau se remplissait par le haut qu'on appelait le "gueulard". Cette ouverture se trouvait à peu près au niveau du dessus de la chaussée de l'étang, si bien que c'était par cette cheminée qu'était entassé alternativement le combustible, le minerai et le fondant. Pour charger un fourneau, il fallait y mélanger 30 livres de castine et employer comme combustible 300 livres de charbon de bois. La fusion pouvait durer de 9 à 12 heures selon les cas.

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La fabrication du charbon de bois

Au bas du fourneau, il y avait un trou formé par des buses de terre réfractaire, continuées par un tuyau appelé la tuyère qui amenait l'air envoyé par de puissants soufflets. Il y en avait plusieurs paires, soigneusement surveillé et entretenu par le maître souffletier et ses aides. Au XVIII° siècle, chacun des soufflets mesurait 5 mètres de long et 1,50 mètres de large. La pale supérieure seule mobile, était soulevée par la grande roue de bois entraînée par la chute d'eau et un poids proportionné la rabaissait. Quand tout allait bien, la poussée d'air atteignait 300 livres, à la vitesse de 6 à 10 coups minute.

La partie basse du fourneau où se faisait la fusion s'appelait le "creuset" au fond duquel s'accumulait le métal fondu, s'écoulant ensuite dans un sillon long de plusieurs mètres et profond d'environ 20 cm. La coulée de fonte ainsi obtenue s'appelait la "gueuse" ou lingot et mettait au moins 7 heures à refroidir. La coulée achevée, on vidait le cendrier placé sous le four. Les cendres étaient jetées mais on recueillait le "laitier" ou scories, c'est à dire les déchets. Ceux qui étaient jugés encore chargés de minerai étaient écrasés et repassés ensuite dans le fourneau quand ils étaient en quantité suffisante. On en retirait une fonte d'assez bonne qualité. Le reste appelé mâchefer ou "sorgnes", était rejeté dans un terrain vague à proximité.

[Durant la première moitié du XX° siècle, les sorgnes de la Poitevinière servirent aux maçons de Riaillé pour remplacer le gravier dans le béton. Rien ne se perd, tout se transforme !]

n fourneau mis en activité ne devait pas se refroidir complètement, car il risquait de se fissurer, ce qui le rendait inutilisable, aussi était-il rechargé rapidement et mis à feu de nouveau.

La fonderie de la Poitevinière employait une partie de sa fonte pour couler sur place, dans des moules appropriés, certaines pièces assez recherchées comme des plaques de cheminées, des réchauds de cuisines, des chenets, marmites, chaudrons et toutes sortes d'autres ustensiles alors en fonte. Mais, la plus grande partie des gueuses était prise en charge par les saquetiers qui l'emmenait à la Forge de la Provôtière, elle y était chauffée "à blanc" au charbon de bois et battue et rebattue sous le marteau pilon sur une sorte d'enclume de 80 cm de coté et 30 cm d'épaisseur. Les marteaux pilons ont différé de poids suivant les époques, celui du XVIII° siècle pesait 580 livres soit 290 kg. Manœuvré par tout un système de roues, poulies, courroies d'entraînement et de démultiplication, actionné par la roue à aubes de la chute d'eau, il pouvait frapper la fonte à raison de 100 à 120 coups à la minute. Ce battage de la fonte réalisait l'affinage du fer, c'est à dire la réduction du pourcentage de carbone pour produire l'acier et expulser le reste des scories ou matières étrangères. Ces travaux étaient exécutés sous la direction du maître affineur, assisté de ses aides : manœuvres, souffletiers, etc.

Quand les magasins de la Provôtière avaient réuni suffisamment de fer marchand, un convoi de saquetiers s'organisait pour son cheminement vers Nantes ou Nort-sur-Erdre d'où il était embarqué vers Nantes chez des négociants qui l'expédiait un peu partout, même aux Antilles.

 

Quelques chiffres :

Nous en possédons pour la production à la fin du XVIII° siècle sur l'activité des forges de Riaillé :

En 1718, le baron d'Ancenis affermait la forge de la Provôtière pour 6.000 livres par an, mais fournissait l'eau de son étang et 1.500 cordes de bois. Nous n'avons pas de chiffres pour la Poitevinière.

Le personnel était nombreux, outre le Maître des Forges qui affermait les établissements et supervisait l'ensemble, il pouvait y avoir :

[Ou la Forge tout court, les Riailléens disent toujours l'étang de la Forge et non l'étang de la Provôtière, si vous voulez passer pour un Riailléen de souche, dites surtout l'étang de la Forge !]

Nous allions oublier les Commis aux écritures, ils n'étaient pas les moins payés et faisaient souvent figures de petits notables. Ces gens là savaient s'élever dans la société locale souvent par le biais d'heureux mariages comme en témoignent les registres paroissiaux.

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