LES FORGES DU PAYS DE CHÂTEAUBRIANT - Pages 41-53 & 61-67

Inventaire Général des Monuments et Richesses Artistiques de la France, Pays de la Loire - Département de Loire-Atlantique
Cahiers de l'Inventaire - Ministère de la Culture

(Ces pages concernant l'Histoire de Riaillé ont été recopiées et sont diffusées gratuitement à des fins culturelles par Noël Bouvet )

(Pages 41-53)

La métallurgie de la châtellenie de La Poitevinière à travers les comptes de ses revenus.

 Les sous-sols ferrifères des régions armoricaines ont toujours favorisé l'activité métallurgique. De nombreuses observations ont en effet révélé que, dès l'époque de la Tène (second âge du fer), aux environs de 450 av. J.-C., le fer devient très commun en Bretagne (19). En 57 av. J.-C., les premiers soldats romains entrent en Armorique et l'on considère généralement que c'est à cette époque que la production du fer s'est fortement intensifiée. En Loire-Atlantique, et plus particulièrement dans les territoires environnant Châteaubriant, des travaux de prospection ont été effectués à la fin du XIX° siècle et au début du XX° siècle, à l'occasion de campagnes de récupération de scories anciennes, encore très riches en fer (car résultant du procédé direct de réduction du minerai (20). La grande majorité de ces scories a été datée de l'époque gallo-romaine. Des monnaies romaines trouvées dans certaines galeries de la commune de Rougé (21), à 10 km au Nord-Ouest de Châteaubriant, témoignent également de l'exploitation romaine de cette mine de fer. Mais de l'avis de nombreux spécialistes (22), le minerai de fer fut exploité intensivement au Moyen Age dans cette région et une quantité importante de tas de scories répertoriés dans le Sud-Est de l'Armorique que l'on attribuait aux Gaulois et aux Gallo-romains seraient en fait médiévaux. D'ailleurs, des tessons de céramique mérovingienne et plus tardifs, ont été répertoriés (23) dans certains de ces tas de scories, notamment à l'Est de la forêt de Juigné-les-Moustiers, à La Fontaine-Fermée sur la commune de la Meilleraye, au Jeannot en limite des communes de Saint-Sulpice-des-Landes et de Riaillé.

Mais, pour étayer ces constatations sur le terrain, les documents concernant le Moyen Age sont malheureusement rares et la métallurgie rurale de cette époque reste dans l'ombre. Néanmoins, on possède certains renseignements concernant les exploitations monastiques et les moines forgerons. Ainsi, en 1224 (24) Geoffroy, seigneur de Châteaubriant, demande à la prieure du couvent de Saint-Malo-de-Teillay de transporter la forge, qu'il lui avait donnée quelques années auparavant, en forêt de Juigné. Il voulait de cette manière préserver une partie de sa forêt de Teillay qui souffrait du déboisement. A côté de cette exploitation monastique, plus mal connue et révélée d'ailleurs à l'occasion de contrats avec les autorités monastiques, existait, comme l'appelle B. Gilles: "une industrie seigneuriale" (25). En 1226, par exemple, Auffroy, seigneur de Sion, fonde dans la forêt de Domnèche un prieuré dépendant de l'abbaye cistercienne de La Roë. A cette occasion, il concède pour sept mois, au prieur, une forge qu'il possédait dans cette forêt. De même en 1252, Geoffroy de Châteaubriant (26) dote les moines du prieuré des Trinitairës de.Béré(au Nord de Châteaubriant) d'une somme de 200 livres qui sera prélevée sur les revenus de deux forges qu'il possède en ses forêts de Juigné et de Teillay. Les aveux et hommages (27) du baron de Châteaubriant rendus en 1383, dénombraient en forêt de Juigné "une forge affer pelles deffer" et une "forge crouchière, et en forêt de Teillay "troys forges groussières" (28).

 En plus de cette métallurgie rurale, existait une métallurgie urbaine. Châteaubriant abritait en 1500 une forge (29) (peut-être plusieurs). De même, les comptes de la prévôté et ville d'Ancenis (30) mentionnent l'activité de forgerons, maréchaux ou claveuriers (serruriers) entre 1475 et 1500 ; Huguet Rochier, le claveurier, a même offert ses services à la ville pendant au moins les vingt-cinq ans couverts par ces comptes.

  

La Poitevinière - Etang & Forêt Site du Fourneau de la Poitevinière


Les comptes de la châtellenie de La Poitevinière

 L'une des châtellenies de la baronnie d'Ancenis, la châtellenie de La Poitevinière, jouissait à la fin du Moyen Age de recettes de plusieurs forges installées sur son territoire. Les comptes de cette châtellenie, conservés aux Archives départementales de Loire-Atlantique, couvrent la deuxième moitié du XV° siècle et plus d'un quart du siècle suivant jusqu'en 1531. Ils permettent de suivre l'évolution économique et en particulier le fonctionnement des forges.

 Rappels géographiques et historiques

 La châtellenie de La Poitevinière faisait partie, au XV° siècle, de la baronnie d'Ancenis, une des neuf baronnies de la Bretagne indépendante. Située sur le département actuel de Loire-Atlantique, à la frontière de l'Anjou, elle était bordée au Sud par la Loire, grand axe commercial où circulaient les produits des régions qu'elle traversait et les marchandises importées par Nantes. En position plus reculée, la châtellenie de La Poitevinière se situait à 25 km au Nord de la ville d'Ancenis et à égale distance de Châteaubriant. De dimensions modestes, environ 28 km2, elle comprenait la forêt d'Ancenis (qui s'appelait alors forêt de La Poitevinière), les villages de La Minaudière, de La Poitevinière et de La Provostière, ce qui correspond à peu près à la partie nord de la commune actuelle de Riaillé ; mais cette paroisse, comme celles de Chevasné et Pannecé, n'en faisait pas partie. La châtellenie de La Poitevinière était bordée à l'Est par la forêt de Saint-Mars-la-Jaille (appelée alors forêt de Pennecé), au Sud, par la paroisse de Riaillé traversée par la rivière de L'Erdre, et à l'Ouest, par celle de Joué et les terres de l'abbaye de Melleray, abbaye cistercienne fondée en 1132. Au Nord, elle s'étendait jusqu'à la paroisse d'Auverné qui dépendait de la baronnie de Châteaubriant, et au Nord-Est, jusqu'à la paroisse de Saint-Sulpice-des-Landes.  

Au XV° siècle, c'est la famille de ,Rieux qui possède la baronnie, depuis le mariage de Jeanne d'Ancenis (1364-1417) avec Jean de Rieux (31), maréchal de France. Le climat politique est d'abord plus calme qu'au XIV° siècle, époque à laquelle les événements de la guerre de Cent Ans, et notamment "la guerre des deux Jeanne" (32) troublèrent sensiblement le pays. Mais dans la deuxième moitié du XV° siècle, réapparaissent les difficultés.

 Louis XI (1461-1483), en effet, engage une lutte sévère contre la féodalité. En 1467, il affronte notamment la ligue formée par le duc de Bretagne, le duc de Bourgogne et le roi d'Angleterre, Edouard IV (33). Après la mort du roi, sous la régence d'Anne de Beaujeu, les troubles continuent et sont particulièrement ressentis dans la région. Châteaubriant est incendiée en 1488 par les troupes françaises. Les villes ne furent pas les seules touchées par ces évènements dans le pays. Le monde rural subit lui aussi les conséquences dévastatrices des guerres et du passage des armées du roi de France. C'est ainsi qu'en 1489, l'insuffisance des recettes des récoltes et des forges, due à la destruction de celles-ci par les armées, et à la diminution de la main-d'oeuvre, plongea la châtellenie dans une situation précaire.

 La source comptable

 L'intitulé exacte des comptes: Comptes des receveurs de la châtellenie de La Poitevinière et du fief Guihenneuc, met en exergue deux territoires regroupés dans les comptes, mais correspondant à deux unités économiques et juridiques distinctes. Ces comptes comprennent six registres, chacun étant lui-même divisé en quatre ou cinq cahiers qui correspondaient aux rapports des recettes que le receveur rendait au baron d'Ancenis, à l'issue d'un, deux ou trois ans. Ces registres se présentent sous la forme de feuilles de parchemin, dans l'ensemble bien conservées. Ils existent pour une période couvrant les années 1426 et 1531, mais ne sont pas continus. De nombreuses lacunes fragmentent en 'effet les informations, et les renseignements concernant uniquement la châtellenie de La Poitevinière n'existent en fait que pour la deuxième moitié du XV° siècle, de1464 à 1505; et au XVI° siècle jusqu'en 1531.

 

Comptes de la Châtellenie de la Poitevinière et du fief Guihéneuc 1426-1531
A.D. de Loire-Atlantique

 Le rapporteur de ces comptes est appelé "receveur:' Il est également châtelain et responsable devant le baron d'Ancenis des recettes des récoltes et des impôts qu'il perçoit chaque année. Il enregistre les baux, les fermes et toutes les taxes de la coutume. Ces dernières sont levées plusieurs fois par an, suivant un rythme saisonnier bien respecté et délimité par des tètes religieuses, telles que Noël ou la Toussaint. C'est à partir de "minus" qui correspondent à des brouillons qu'il rédige au fur et à mesure des mois, que le receveur élabore le rapport final qui sera présenté au baron.

 Parmi les recettes des fermes levées dans la châtellenie, se trouvent notamment les fermes de forges. En effet, les forges mises en ferme, "affermées" pour reprendre le terme exact des comptes, subissent un prélèvement qui consiste en une somme d'argent évaluée et fixée pour le temps d'un bail et payable par trimestre. Ces fermes des forges étaient en fait des comptes de gruerie, calculés sur la quantité de charbon de bois qu'employaient les forgerons pour leur travail. Que la saison soit bonne ou mauvaise, l'imposition reste fixe. Il peut y avoir pourtant à l'issue d'une année, à cause de transformations techniques ou de changement de fermier, une réévaluation de l'imposition. Ainsi, de 1465 à 1466, une forge sochière (34) a-t-elle vu son imposition passer de 38 à 30 livres (35) par an, à l'occasion de sa reprise par deux nouveaux forgerons. Cette baisse de l'imposition peut être due à un rendement plus faible et à une diminution de l'effectif des ouvriers.

 Dans la seconde moitié du XV° siècle, trois années retiennent plus particulièrement l'attention. Il s'agit des années 1465, 1466 et 1467, période pendant laquelle il est possible de suivre le travail des forges sans lacune. L'étude des autres années permet d'expliquer les raisons de la "chomée des forges" à partir de 1470 et de suivre la destinée des forgerons et l'économie de cette châtellenie jusqu'au début du XVI° siècle.

 D'autres sources manuscrites peuvent combler certaines lacunes, notamment dans la première moitié du XV° siècle. Par exemple, les aveux et hommages ,6 des territoires de la baronnie d'Ancenis rendus au duc de Bretagne par les barons successifs, consistent en un dénombrement de leurs terres et droits (droit de lever des impôts et autres taxes, sur les foires par exemple) que possédaient les barons. Au sein de ces dénombrements, dans la châtellenie de La Poitevinière, apparaissent dès 1423 (37) plusieurs noms de forgerons ainsi que l'emplacement de leurs forges. Nous retrouvons ces forges en 1452 (38) et 1459 (39). Cette fois, elles sont affermées et considérées comme sources de revenus appréciables pour la châtellenie. Ces aveux, qui recoupent les renseignements des comptes, attestent bien la continuation de l'activité métallurgique dans cette châtellenie depuis 1423 jusqu'en 1467.
 

 Conditions nécessaires à l'installation des forges

 Les forges artisanales, en cette fin du Moyen Age, ne pouvaient s'installer n'importe où. Deux conditions indispensables à leur mise en place devaient en effet être respectées, de manière à subvenir aux besoins en matière première et en combustible. Les forgerons devaient donc réduire au maximum l'é1oignement des sources de combustible et de minerai de leur lieu de travail, et ceci d'autant plus qu'en milieu rural, l'artisanat souffrait d'un réseau de commu­nication parfois défaillant et mal distribué. Mais la forêt qui couvrait au XVe siècle plus de la moitié du territoire de la châtellenie de La Poitevinière, ainsi que son sous-sol ferrifère, semble avoir favorisé l'installation des forges.

 

Le minerai

 Les minerais de fer armoricains sont, dans leur majorité, d'origine sédimentaire. Le bassin d'Anjou et de Haute Bretagne, qui nous intéresse plus particulièrement, est une région d'évolution précambrienne et paléozoïque, caractérisée par l'épaisseur plus grande de la sédimentation. Des grés armoricains de l'Ordovicien fournissent, dans ces territoires, un élément caractéristique du relief de la Bretagne. Ils se présentent tantôt comme une masse indivise, tantôt comme un ensemble tripartite où alternent stratigraphiquement des bandes de schistes et des horizons de minerai de fer oolithique ou non, susceptibles d'être exploités. Dans la région sud de Châteaubriant, le minerai de fer affleure en surface et est facilement exploitable.

 A La Poitevinière, le travail d'extraction se faisait donc à ciel ouvert. Une prospection en forêt d'Ancenis (40) a permis d'observer des traces d'anciens trous de minières d'approximativement 1,5 m de diamètre, actuellement fortement comblés. On a également retrouvé, à côté de ces excavations, au Sud de l'étang de La Poitevinière, un tas de scories d'environ 2 m de hauteur et de 4 m de diamètre. Ces scories qui ne présentent aucune trace de vitrification, résultent du procédé ancien de réduction du minerai, dans des bas fourneaux suivant la méthode directe. On ne peut actuellement (faute de fouilles archéologiques) dater précisément cet ensemble de structure. Mais il est bien certain qu'il s'agit bien de traces de métallurgie antique ou médiévale.

 Parallèlement à ces constatations de terrain, c'est en examinant les baux reportés chaque année sur les comptes de la châtellenie, que l'on peut mettre en évidence l'exploitation locale du minerai de fer au XVe siècle, le bail de Jean Le Metaier étant en effet renouvelé en 1465,66,67 et 1479: "Empuis compte d'une autre nouvelle baillee faicte à Jehan Lemetaier par Guillaume de Saint Martin vendeur dessus dit et le dit chatellain et dempuiz luy consfirmer par monseigneur, d'une plëce de terre contenant deux joyaulx de terre ou censive dont en y a partie en myne boays et espines et l'autre partie en frost pour le temps de lors... " (41).

 La "myne" signifie, dans le texte, le minerai de fer. Dans cet exemple, il est répertorié dans la première partie des deux journaux de terre, celle qui n'est pas cultivable, mais plantée de bois, "boays et espines’’ L'exploitation du minerai de fer se faisait donc en forêt, là où les minières ne dérangeaient pas les cultures. L'exploitation était alors concédée par des baux, mais il n'existait pas à La Poitevinière de contrôle sur l'extraction. Aucune législation ni taxe sur l'exploitation ne sont mentionnées dans les comptes. Ce qui laisse supposer que toute la production de minerai était utilisée sur place, car son exportation aurait incité le baron à contrôler la production.

 Le bois

 En installant leurs foyers en forêt, les forgerons ont su trouver un milieu naturel correspondant exactement à leurs besoins en combustible dont le coût de transport était alors fortement réduit. Ce bois provenait de l'exploitation de la forêt de La Poitevinière, située dans la châtellenie même. Cette forêt, devenue aujourd'hui la forêt d'Ancenis, couvre actuellement une superficie d'environ 830 hectares. D'après les aveux de 1452 (42), elle s'étendait alors sur 1600 hectares, soit à peu près le double, ce que confirme d'ailleurs la toponymie actuelle des lieux. Ces éléments témoignent du rétrécissement de la forêt dû au déboisement continuel déjà amorcé au XV° siècle - et donc de l'exploitation active de la forêt.

 Les charbonniers qui coupaient et transformaient le bois en charbon, travaillaient en forêt. En 1465, le receveur mentionne deux charbonniers, Guillaume et Rolland Barre, qui avaient "...abatu du boays en la forest de la poiteviniere pour faire du charbon es forges dudit lieu...’‘’ Travaillant au cœur de la forêt, ils faisaient l'objet d'une surveillance tout au long de l'année. Cette surveillance était assurée par les forestiers et les officiers de forestage, chargés de rendre un rapport quatre fois par an sur le contrôle des amodiations, les ventes de bois, les impôts et taxes qu'ils levaient en forêt. Sanctionnant l'exploitation du bois, les forestiers rapportaient au châtelain les recettes d'une taxe d'abattage du bois en forêt appelée taux de forestage.

 A partir de 1470, les forgerons rencontrèrent des difficultés pour s'approvisionner en bois de feu. En effet, le baron d'Ancenis, soucieux de préserver ses ressources forestières interdit la coupe des jeunes arbres. Déjà en 1466, le châtelain et receveur Pierre Fesnay expliquait ainsi l'inaction de l'une de ces forges: "Il y a ung an et demy que celle forge ne besoingna et sont une partie des ouvreis mors et l'autre partie hors du pays et mesmes quil ny a pas boais pour la maintenir en la forest dudit lieu" En 1467, cette forge ne fonctionne toujours pas : "...pour ce que n'a pas boa ys en la forest de quoi la maintenir"

 Mais quatre ans plus tard la situation s'est aggravée. Ainsi, en 1470, toutes les forges de La Poitevinière chômaient et le compte précise qu'il s'agissait d'une mesure pour "... saulver les boais taillix de la forest...," et qu'il a été défendu au châtelain d'entreprendre des ventes de bois sans obtenir la permission préalable de la baronne douairière, Jehanne de Rohan. 

Ces restrictions, qui se prolongèrent avec une ampleur variable dans les décennies suivantes affectaient les consommations de charbon de bois. Mais dans le même temps, pour des travaux tels que les réparations des moulins (1495 à 1497), la construction d'une maison pour le baron (1499 à 1501) ou l'édification d'une chapelle (1501 à 1503) à La Poitevinière, de très importants abattages de bois d'œuvre furent effectués dans la forêt de La Poitevinière. Aussi la carence du bois de feu qui pénalisa les forges à partir de 1470, résultait directement de la politique forestière du baron qui privilégiant la sylviculture de bois d'oeuvre, préservait la futaie au taillis. Cette politique n'était pas encore, comme plus tard, la conséquence de coupes abusives qui, en 1522, obligeront un maître de forges, qui doit se procurer du petit bois pour faire du charbon, à couper des jeunes chênes de moins de 15 pieds de périmètre sur une bauche de la forêt de La Poitevinière, "afin de que la dite bausche puisse estre plus revenantes a boa ys tallix au temps avenir’’'

 

Les différents types de forges et leur production

 Description des forges d'après les comptes

 Les forges de La Poitevinière installèrent donc leurs ateliers en forêt. Les noms des aires de travail mentionnées dans les comptes de la châtellenie sont, à cet égard très. significatifs: le Bois-Laurent, le Buisson-Robin, le Bois du Gircqueau ou les "getées de La Poitevinière’’; "getée" signifiant abattis ou coupes (effectués dans la forêt). Certaines forges ne sont pas localisées aussi précisément mais le receveur essaye toujours de replacer dans l'espace l'aire de travail des forgerons par rapport aux censives voisines. Cela a effectivement permis, dans la majorité des cas, de situer les forges en forêt. Dans le cadre de la prospection archéologique sur la commune de Riaillé, deux de ces emplacements déterminés de forges ont pu être reconnus sur le terrain. Au début du siècle, des travaux (43) avaient déjà démontré qu'il existait à La Ferrière (lieu-dit où existait une forge en 1487) d'anciens tas de scories, résultant du procédé direct de réduction du minerai. Le deuxième emplacement indiqué dans les textes porte encore de nos jours le nom de « Bois-Laurent » Les restes d'anciens tas de scories identifiés sur le terrain (et fortement arasés par les labours), en bordure d'un ruisseau, ont donné des échantillons de petite taille et très lourds (encore très riches en fer). Etant en cours d'étude, ces scories ne sont pas encore précisément datées, mais il n'est pas impossible qu'elles soient médiévales, les données archéologiques recoupant alors celles du texte du XV° siècle.

 Bien que peu précis sur les installations elles-mêmes, le receveur donne quelques indications sur les lieux de travail des forgerons et emploie fréquemment les expressions de "aire de la forge" ou "le courtil de la forge" qui témoignent d'une volonté d'aménagement d'un espace de travail. Assujetties à un cens, ces pièces de terre devaient recevoir toutes les infrastructures nécessaires à la forge du métal, au lavage du minerai et à sa réduction dans les bas fourneaux. Il pouvait d'ailleurs y avoir plusieurs aires de travail juxtaposées et plusieurs forges sur une même aire de travail, comme le décrit le receveur en 1465 lors d'un renouvellement de bail au maréchal de La Poitevinière : "Empuis compte dune autre nouvelle baillee faicte par monseigneur a qui dieu pardonne en lan milIIlc L VI à Jehan Rouvillel mareschal dune piece de terre sus es getees de la poiteviniere entre la meson et courtill Guillaume meschinot, dune place de forge que sou let tenir colas beaufilz, le courtill des forges dudit lieu et le grand chemin comme lom bait dudit lieu de la poiteviniere ancenis...’’

 Bien qu'il existât au XV° siècle des moulins à blé et à drap qui, installés sur les chaussées des étangs de la Poitevinière, utilisaient la force hydraulique, l'action des soumets et le martelage s'effectuaient manuellement sur les forges de la châtellenie. Le martinet hydraulique ou moulin à fer (outil qui semble remonter à la deuxième moitié du XII° siècle (44) n'apparaîtra à La Poitevinière qu'au début du XVI° siècle.

 Les forges à bras de la châtellenie recevaient la dénomination générale de "forges grossières" lorsqu'elles étaient signalées dans leur ensemble. Mais à l'occasion des baux, lorsque le châtelain et receveur les énumérait une par une, il les dotait d'un adjectif, qualificatif de leur production. C'est ainsi qu'il est possible d'identifier quatre types de forge: les forges "paellières;' "sochières;' "paronères" et enfin la forge du maréchal dont la production est explicitement mentionnée dans les comptes: "Item compte de la ferme du charbon que Jehan Rouvillel (maréchal) prent et employe aferrer les chevaulx... " (45). La production des forges "paronères" n'est pas clairement définie, la "parone" - qui désigne à l'époque médiévale le timon de la charrue - étant fabriquée habituellement en bois plutôt qu'en métal. Par contre, les deux autres qualificatifs ne posent pas de problèmes d'identification; la forge "sochière" (soch / soc) s'employait à la fabrication de socs de charrue et la forge "paellière" à la fabrication des poêles, ustensiles de cuisine. Au cours des années, une multiplication et une diversification des forges s'opérèrent dans la châtellenie témoignant d'une augmentation et d'une spécialisation dans la métallurgie artisanale, comme le met en évidence le tableau ci-dessous :

 

 

Les six forges répertoriées sur ce tableau ne sont pas les seules mentionnées dans les comptes. Le receveur en localisant les censives donne en effet des noms de lieux où se trouvaient des forges devenues vacantes. Ainsi cite-t-il en 1465, l'exemple d'une forge paronère vacante depuis 1463. Il a donc été possible d'identifier pour les années 1423-1467, trois forges inactives en plus des six précédentes.

 Les recettes des fermes des forges

 Les forgerons versaient chaque année au receveur une rente fixe correspondant à la quantité de charbon de bois qu'ils utilisaient. Mise en ferme, cette rente qualifiée de "ferme du charbon" ou de "ferme du charbon des forges" pouvait varier considérablement selon le type de forge. Ainsi les deux forges paronères rapportaient-elles respectivement 75 à 100 sols par an, la forge du maréchal invariablement 25 sols par an et la forge paellière 12 livres par an.

 C'est la forge sochière qui consommait la plus grande quantité de charbon et rapportait en 1.465,38. livres par an à la châtellenie ; à partir de 1466, elle ne sera plus affermée qu'à 30 livres par an (46).

 La consommation de combustible variait selon la quantité de minerai nécessaire à la fabrication des objets. P.L. Pelet (47) donne à propos des bas fourneaux à soufflerie manuelle, une estimation (prudente) de la quantité de charbon de bois qu'il était nécessaire de brûler pour obtenir une loupe de fer. En poids, cette quantité était quatre fois plus élevée que celle du minerai. C'est de cette manière que l'on peut expliquer en partie les différentes rentes des fermes de forge selon que celles-ci fabriquaient des socs de charrue, beaucoup plus importants en poids et en taille que des poêles de fer par exemple.

 Les produits et les prix

 Les comptes de La Poitevinière n'enregistrent que les baux des forges. Le receveur qui n'était pas tenu d'en faire une description ne nous renseigne jamais sur les productions, d'autant plus que celles-ci n'étaient pas taxées. Il est pourtant possible d'apprécier un des aspects de l'écoulement des objets forgés, lorsqu'ils se vendaient à l'extérieur de la châtellenie et notamment au prêvot ou au baron d'Ancenis. En effet, c'est aux forges de La Poitevinière que le maître d'hôtel du baron se fournissait en ustensiles de cuisine. De même, les officiers du service de la baronnie (forestiers, courriers...) se faisaient rembourser les fers à cheval qu'ils utilisaient; et lorsque ceux-ci provenaient des forges du maréchal de La Poitevinière, la somme apparaît sur les comptes. C'est ainsi que l'on peut apprécier le prix de ces objets. En 1465 "deux grandes paelles de fer et un trepies" au prix de 23 sols et 4 deniers les trois objets, sont "envoyés à la cuisine de madame" (Jeanne de Rohan, baronne douairière), ainsi qu'une "cuillier de fer et une paire d'espoistez" (broches) au prix de 20 deniers.

 En 1467, c'est encore "une paelle de fer à cuyre les chastaignes" qui est envoyée au prix de 6 sols. Quant aux fers à cheval, ils étaient évalués aux environs de 6 à 7 deniers l'unité. On connaît d'ailleurs pour des périodes plus tardives, d'après les renseignements donnés par les receveurs de la châtellenie de La Poitevinière et de la prévôté d'Ancenis 48, le prix de fer ouvré. Celui-ci s'évaluait à Ancenis en 1479 à 6 deniers monnaie de Bretagne la livre, soit 7,2 deniers tournois; en 1495, la livre de fer coûtait 8 deniers bretons, ce qui correspond alors à 10 deniers tournois. Et à la Poitevinière, en 1501, la livre de fer ouvré coûtait toujours 10 deniers tournois, soit 8 deniers monnaie de Bretagne. A titre de comparaison, le salaire d'un homme envoyé porter du courrier sur une distance de 40 km était en cette fin du XV° siècle d'environ 15 deniers. Enfin, à l'occasion de constructions ou de réparations effectuées pour le compte de la châtellenie (aux moulins, aux ponts, à la chapelle...) le receveur enregistre des frais de ferronnerie qui correspondaient à l'achat de divers objets tels que des barreaux de fer, des serrures, des clefs, des colliers et des chaînes de fer, des clous, des coins de fer...

 Pourtant les quelques exemples cités ci-dessus ne sont pas représentatifs de la production globale des forges. En effet, les ventes d'outils agricoles, tels les socs de charrue, aux paysans, laboureurs de la châtellenie, n'étaient pas reportées sur les comptes. Ces paysans constituaient la majorité des habitants de La Poitevinière et des châtellenies voisines. C'était surtout auprès d'eux que les forgerons des forges sochières et paronères écoulaient leur production. De plus, les nombreux foyers (foyers familiaux) constituant les hameaux et villages de la châtellenie de La Poitevinière et du Guihenneux étaient créateurs de besoins en objets usuels, aussi bien qu'en outils de construction.

 Ainsi, la demande locale paraissait-elle suffisante pour assurer le fonctionnement des forges. Toutefois cette production étant relativement réduite, et ne comportant pas de matériel d'artillerie (canons, boulets...) n'intéressait pas le baron d'Ancenis. Aussi, celui-ci ne réclamait-il aucune redevance ou taxe, laissant les forgerons libres de monnayer leur marchandise comme ils l'entendaient.

 Les comptes de la châtellenie de La Poitevinière mentionnent également pour l'année 1465 la présence de fer importé d'Espagne (49) : "Item demende lui est alloue en clere mise XL sols quelz lui furent mis en depport et quelz il avait poiez à Jehan Ronvillel mareschal pour ung cercle de fer d'espaigne quel fut mis ala meulle du bas mollin de la poitevinière quelle est rompue ‘’ Dès 1372, en effet, les Bretons avaient conclu un traité commercial avec les Espagnols. La Bretagne exportait des draps de lin et de laine vers l'Espagne, tandis que la grande majorité du fret des navires espagnols était constituée de vin et de fer provenant de Biscaye. Au XV° siècle, le commerce s'intensifie et la demande en fer d'Espagne est de plus en plus importante. A cette époque, les marchands espagnols font de Nantes le centre de redistribution de leur production de fer vers l'Ouest (50). C'est ainsi que remontant la Loire, cette marchandise était vendue jusqu'à Ancenis (parfois même plus en amont). Pourtant, l'exemple cité ci-dessus est exceptionnel dans les comptes de La Poitevinière. On a utilisé ce fer d'Espagne pour cercler une meule de moulin, appareil de force qui nécessite des matériaux d'une grande solidité. Il est reconnu, en effet, que les propriétés du fer de Biscaye s'avèrent plus satisfaisantes que celles du fer obtenu à partir du minerai breton. Mais, contrairement aux grandes villes telles que Nantes et Rennes, où l'artillerie permanente nécessitait une grande quantité de fer importé, en milieu rural, à La Poitevinière, la production de fer à partir du minerai local est suffisante, les forgerons se le procurant plus facilement et à moindre frais.

 

Les forgerons et leur mode de travail

 Le châtelain et receveur de La Poitevinière ne mentionne jamais le terme de "forgeron’’ Dans la comptabilité des baux et des fermes, mis à par le terme de maréchal qui désigne une activité bien particulière, ce n'est qu'épisodiquement qu'apparaissent les termes de "fevre" ou de "farur" qualifiant l'activité artisanale des forgerons. Néanmoins, il est tout à fait raisonnable d'assimiler les fermiers des forges qui travaillaient effectivement sur les forges à des forgerons. Pour la période 1463-1467, on dénombre ainsi dans les comptes une dizaine de forgerons à La Poitevinière.

 Les explications que donne le receveur en 1466 à propos de la vacance de la forge "paellière" mettent en lumière la responsabilité du forgeron Jehan Segnin à l'égard de toute une équipe de travail: "Et au regart dune forge palliere que Jehan Segnin voulet tenir audit lieu de la poitevinière nen compte point pource que il ya ung an et demy que cette forge ne besoingna et sont une partie des ovriers mors et lautre partie hors du pays... " (51).

 Les "ovriers" constituaient la main-d'œuvre travaillant au service et/ou sous les ordres de Jehan Segnin. Les fermiers de forge étaient des chefs d'équipe ; et sur une aire de forge, le travail était réparti entre les différents ouvriers. De ce fait, un forgeron avait la possibilité de s'occuper simultanément de plusieurs forges et aires de travail. C'est ainsi qu'en 1465, Guillaume Moreau, forgeron de la forge "sochière" se propose de reprendre la forge "paronère" vacante depuis la mort d'Olivier Mastilleul précédent forgeron. De même, ce dernier tenait en 1464, trois forges dont la forge "paellière" en association avec Jehan Segnin. Il était, en effet, fréquent de rencontrer deux forgerons associés pour faire travailler une même équipe.

 Parfois, le travail associatif se concrétisait également par un travail familial. Il y avait dans la châtellenie des familles de forgerons au sein desquelles l'apprentissage et les traditions du travail de la forge se transmettaient de génération en génération. En cette deuxième moitié du XVe siècle, cinq représentants de la famille Boullay seront forgerons. En 1466, Jehan et Pierre Boullay reprenaient la forge "paronère" de leur père décédé un an plus tôt. On retrouve des descendants de cette famille vingt-deux ans plus tard en 1487, lorsque Allain et Mathelin Boullay installent une forge au lieu-dit la Ferrière de La Poitevinière. En 1491, Mathelin est décédé et c'est sa veuve qui le remplace.

 Les recettes des fermes de forges perçues tous les trimestres de façon très régulière, ne laissant transparaître aucune rupture dans la marche des forges, il semble donc que même en période de moisson qui absorbe temporairement une grande quantité de main-d'oeuvre, les ouvriers des forges continuaient leur travail. Pourtant ce travail continuel n'empêchait pas certains forgerons de posséder d'autres sources de revenus; nous savons que certains possédaient des animaux domestiques (sans doute destinés au transport des fers, charbons et minerais) et que d'autres exploitaient le miel et la cire provenant de ruches qui leur appartenaient.

 En 1470, toutes les forges de La Poitevinière - alors au nombre de six - sont vacantes. Mais "la chomée des forges;' comme l'explique le châtelain, n'est pas due à un manque de main-d'oeuvre. C'est en effet un manque de combustible dû à la réglementation sur l'abattage des arbres en forêt de la Poitevinière qui empêche le travail des forgerons. De plus, les troubles occasionnés par les guerres en cette fin du XVe siècle, perturbèrent l'équilibre du pays. Ainsi une forge affermée de nouveau en 1487 fut-elle détruite trois ans plus tard comme le rapporte le receveur Guillaume Raoul sur une page de comptes intitulée "Rabatz pour raeson de guerre": "Quil a rabattu a allain boullay, la veuve de mathelin boullay, pour une forge edlffie de nouvel a la poitevinière quelle par la

guerre a este destruite et aussi ont lesdits boullay et veuve perdu loustille de ladite forge et sur la remonstrance quilz en ont fait a monseigneur, il a este commande audit chatelain les en quicter du temps passe et aussi a lavenir nen demande rien pourceque a este trouve par enqueste que lesdits prenneurs n 'avoint peu jouir dudit boays... (52)

 L'année 1470 marque donc une rupture dans l'activité des forges à bras de la châtellenie de La Poitevinière. La protection du patrimoine forestier privilégiant le bois d'oeuvre sur le bois de feu entraîne la ruine de ces forges qui jouaient, cependant, un rôle important dans l'équilibre économique de la châtellenie.

 Pourtant, de 1494 à 1505 au moins, d'importants travaux furent entrepris dans la châtellenie. Ainsi les chaussées des étangs de La Poitevinière et de La Provostière furent-elles transformées et de nouveaux chenaux aménagés. Les moulins à blé subirent eux aussi des transformations et reçurent de nouvelles roues. Le receveur mentionne même la construction d'une cheminée au moulin de La Poitevinière. Malheureusement, pour une période de dix ans à partir de 1505, les comptes n'existent plus. Ce n'est donc qu'à partir des comp tes de 1515 que nous pouvons expliquer les raisons des travaux effectués. En effet, les moulins de La Poitevinière et de La Provostière sont maintenant affermés pour 200 livres par an à un homme appelé "maître des grandes forges" ; ce ne sont plus de petites forges à bras qui travaillent en forêt, mais de "grandes forges à faire fer" ou "grosses forges à fer" installées sur les chaussées des étangs. Elles utilisaient donc la force hydraulique pour mouvoir un martinet et sans doute aussi pour actionner des soufflets. L'augmentation considérable de la consommation de combustible (200 livres tournois en 1526) et les 260 boulets envoyés en 1529 à Rochefort (lieu de résidence du baron) semble bien être la preuve d'une augmentation de la production et de l'élargissement des marchés.

 Ainsi, on a pu constater d'après les comptes des receveurs, l'évolution technique de la métallurgie dans la châtellenie, depuis les forges à bras, productrices des outils agricoles et de la ferronnerie légère, jusqu'aux grosses forges hydrauliques et haut fourneau.

 Mais il apparaît clairement que cette évolution était en fait entièrement dépendante de la politique du baron d'Ancenis, véritable maître des lieux. Et. ce n'est que l'attrait-d'une production militaire (artillerie) qui décida le baron à soutenir l'installation et le développement de nouvelles techniques de forge sur sa châtellenie, permettant ainsi de sauver l'activité métallurgique sur ses terres.

 C.H.

 

Boulet de canon & demi-moule
(Fourneau de la Poitevinière)

Maison du Commis
 (de la Poitevinière)

Maison dite "des Trébuchet" 
(Riaillé – La Poitevinière

 

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Notes :

(19) - GIOT P.R.)... Protohistoire, p. 315-353.

(20) - Technique ancienne appelée procédé direct en opposition aux techniques modernes de carburation du fer dans les hauts fourneaux, la fonte ainsi obtenue sera dans un deuxième temps affinée pour donner un fer très pur.

(21) – DAVY L. Etude des scories, p. 425.

(22) - GIOT P.R.)... Protohistoire, p. 248.

(23) – DAVY L. Etude des scories ; MAITRE L. Les Forges.p. 248

(24) - DU PAZ (J.A.). Histoire généalogique...

(25) - GILLE (B.). L 'organisation de la production., p.117.

(26) - DU PAZ (J.A.). Histoire généalogique...

(27) - Aveux et hommages rendus au Duc de Bretagne. A.D. Loire-Atlantique: B 210 1.

(28) - "Groussière " qualificatif signifiant grossière.

(29) - A.D. Loire-Atlantique: B 2101, Fol. 4.

(30) - A.D. Loire-Atlantique: E 262 à E 264 (1475-1500).

(31) - Châtellenie de Rieux, située au Sud de Redon en bordure de la Vilaine (Morbihan).

(32) - Jeanne de Penthièvre (épouse de Charles de Blois) et son frère Jean de Montfort (marie de Jeanne de Flandre), se disputent le duché de Bretagne.

(33) - En 1468, Louis XI et le duc de Bretagne François II signent une trêve à Ancenis.

(34) - Qui fabrique des socs de charrues

(35) - Denier en monnaie bretonne: 0,83 denier tournois.

(36) - A.D. Loire-Atlantique: B 1815.

(37) - A.D. Loire-Atlantique: B 1815 (1423): aveux de Jean III de Rieux.

(38) - A.D. Loire-Atlantique: B 1815 (1452): aveux de François de Rieux.

(39) - A.D. Loire-Atlantique: B 1815 (1459): aveux de Jeanne de Rohan, veuve de François de Rieux et baronne douairière.

(40) - Travaux de prospection effectués en avril 1984

(41) - E 271, 5° cahier, fol. 13.

(42) - A.D. Loire-Atlantique: B 1815 (1452).

(43) – DAVY L. Etude des scories...

(44) - DAUMAS (M.). Histoire générale..., p. 508-579

(45) - E 271, 5° cahier, fol. 6 V (1465).

(46) - Pour les années 1452 et 1459, les aveux  ne nous rapportent que la somme globale de 40 livres correspondant aux fermes de la forge sochière C et de la forge paellière F.

(47) - PELET (P.L.). Fer, charbon, acier..., chap. VIII, les ateliers et les mines.

(48) - A.D. Loire-Atlantique": E 262 à E 264 (1.175-1500) : comptes des receveurs de la prévôté d'Ancenis.

(49) - E 271, 5° cahier, fol. 13.

(50) - TOUCHARD (H.). Le commerce Maritime

(51) - E 272, 2° cahier, fol. 5 V, § 3.

(52) - E 273, 4' cahier, fol. 14 V.

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(Pages 61-67)

Considérations sur les forges de Riaillé dans la première moitié du XVII° siècle.

 L'histoire de la métallurgie de l'Ouest de la France, et même de la métallurgie dans son ensemble comporte une énorme lacune: la première moitié du XVII° siècle. La documentation administrative faisant défaut, force est de recourir, pour l'essentiel, aux seuls documents notariaux. Il en va ainsi pour les forges de la région de Châteaubriant. Les pages qui vont suivre se fondent donc presque exclusivement soit sur des documents du Minutier central (92), soit sur les archives notariales nantaises (93). Peu nombreux, d'interprétation souvent difficile, ces documents ne permettent guère que de soulever une partie du voile. Leur étude demande au surplus des prolongements généalogiques et la réinsertion des résultats obtenus dans le courant d'une histoire économique régionale elle-même très mal connue (94). Ainsi s'explique le caractère fragmentaire et essentiellement provisoire de ce qui va suivre.

 Plutôt que d'entreprendre une étude document par document nécessairement trop longue (95) on se bornera à tenter ici une première synthèse destinée plus à poser des problèmes qu'à les résoudre.

 La série de contrats d'affermage qui débute en 1609 fait d'abord apparaître une remarquable stabilité des contractants en présence sur plus d'un demi-siècle. D'un côté les propriétaires restent les mêmes: c'est d'abord Marie de Luxembourg, veuve en 1602 de Philippe-Emmanuel de Lorraine, le célèbre duc de Mercœur. C'est elle, ou ses chargés de procuration, qui passent les actes jusqu'en 1623 date de sa mort (96). Fille de Sébastien de Luxembourg, duc de Penthièvre et d'Etampes, elle était célèbre à la fois par son immense richesse, sa beauté et son intelligence. Or la_baronnie d'Ancenis, dont dépendaient les forges de la paroisse de Riaillé, provenait d'elle, puisqu'elle l'avait achetée à Charles de Lorraine, duc d'Elbœuf. Lui succèda Françoise, fille du duc de Mercœur (née en 1592, morte en 1669) qui avait épousé, très jeune, sur ordre de Henri IV, César, duc de Vendôme. Cette union était, en effet, l'une des clauses de "l'édit de Pacification" (97) : le duc de Mercœur avait alors été obligé de remettre le titre de gouverneur de la Bretagne à "César Monsieur, fils naturel de Sa Majesté," à la faveur de son mariage avec Mademoiselle de Mercœur. Celle-ci avait à peine six ans. Le mariage se fit plus tard, en 1609. Dire que Madame de Vendôme" ait été enchantée de l'affaire serait beaucoup dire. Elle s'entendit si mal avec son mari qu'elle lui intenta un procès en 1649, si bien que Louis XIII l'exila un moment sur ses terres dans le château d'Anet. Dévôte, elle passait, de l'aveu de Tallement des Réaux comme du cardinal de Retz comme "très sotte" (98) et elle ne transmit, de ce fait guère d'intelligence à sa fille, Mademoiselle de Vendôme. Du moins était-elle très soucieuse de ses droits de propriété et, voici longtemps, nous signalions son refus de souscrire à la vente des forges de la baronnie d'Ancenis passée, en son absence, par son mari. En droit, un contrat notarial est, sous l'ancien régime, nul de plein droit si la femme ne signe pas l'acte ou ne fait pas parvenir dans un délai fixé, sa procuration (99). Etait-ce refus de voir céder une portion d'héritage? Les forges faisaient-elles partie des propres de Madame de Vendôme ? Ou s'agissait-il simplement d'un mouvement intéressé, doublé de mauvaise humeur, face à la perte d'un capital lucratif ? A ces questions, pour l'instant insolubles, s'ajoute un constat: les forges faisaient partie de l'immense fortune au service d'une famille qui fut toujours plus ou moins opposée à la politique absolutiste de la première moitié du XVII° siècle. Cette opposition était d'autant plus dangereuse que les Lorraine-Mercœur-Vendôme se trouvaient en liens de parenté des plus étroits avec la famille royale. Or l'un des rejetons du mariage de César et de Madame de Vendôme était le duc de Beaufort, dont on connaît le rôle sous la Fronde. D'où la question de savoir si le développement des forges n'a pas des liens de cause à effet sur la guerre - civile et extérieure - qui procurait de nouveaux débouchés.

 

La Maison des Maîtres de Forges de la Provostière vers 1980
 (Construite à la fin du XVI° siècle ou dans les premières années du XVII°, elle fut la propriété du maître de forges Pierre Paris.)

 A cette stabilité des propriétaires répond celle des fermiers. La durée coutumière des baux est de 5 ans au début du siècle (100) (ainsi l'acte du 17 décembre 1609), ils passent ensuite à 7 ans (101). Cette stabilité est si grande qu'en 1629, le fermier Pierre Paris fait à la duchesse l'offre de construire à ses frais deux fourneaux "doubles;' ''pour faire du canon." Si la lignée des propriétaires est intéressante pour le passé, celle des preneurs l'est encore plus pour le futur. Le locataire de 1607, Jacques Belot, marchand à Ancenis et sans doute originaire d'Alençon, entretient des liens familiaux avec Pierre Paris et les frères Montullé. D'après l'acte du 3 janvier 1639 l'un des deux frères, Claude Montullé, sieur de la Fenderie habite Riaillé, tandis que l'autre, François Montullé, sieur de Malleville, habite le quai de la Fosse à Nantes. Alors que Pierre Paris meurt sans descendance légitime, les Montullé font partie du grand négoce nantais, et ils s'installent à la fin du XVII' siècle au Parlement de Paris. La forge les a rendu tôt familiers des princes: ils le resteront jusqu'à la Révolution. En 1750, le grand-chambrier Montullé devint le chef du conseil du prince et de la princesse de Conti, et l'un des Montullé fut l'un des éxécuteurs testamentaires de la famille Conti (102). Plus intéressant encore: les Montullé sont apparentés à la famille Descazaux, et en particulier à Joseph Descazaux, sieur de la Folliette, père du célèbre Descazaux du Hallay (103). Or, au XVIII° siècle, le mariage de Joachim Descazaux du Hallay, avec une Briquemault renforce les liens du grand négoce nantais avec l'un des clans "économistes" de la haute noblesse de cour, toujours avec la complicité des Montullé: entourage de Pont-Chartrain, d'Amelot, etc (104). Ainsi, les forges de Riaillé se trouvent étroitement mêlées à la montée en puissance de l'une des plus grandes familles - et des plus mal connues - du grand négoce nantais. Il serait ainsi intéressant de savoir ce que représentent les forges dans les revenus des Mercœur-Vendôme d'une part, et dans l'ascension économique et sociale des Montullé – François – Paris - Descazaux d'une autre part.

 Le troisième volet de la problématique est celui de l'expansion de la sidérurgie. La première moitié du XVII° siècle passe pour avoir été une époque de médiocre développement économique. On oublie un peu vite que les guerres, si elles ruinent les uns, enrichissent les autres. L'évidence de ce simple raisonnement est confirmée par notre documentation. Encore convient-il de relativiser les choses. L'armée de terre n'offre pas la grosse clientèle que l'on croit: l'artillerie employée dans les batailles terrestres reste très médiocre, tant en quantité qu'en qualité. A Rocroy, l'armée du prince de Condé ne compte guère que 24 pièces d'artillerie: une misère. Les chiffres n'augmenteront qu'au siècle suivant. Le gros client virtuel est, en revanche, la marine; mais point, comme l'on serait tenté de le penser, celle de guerre. La marine de Richelieu reste numériquement peu nombreuse. Les galères n'emportent que quelques canons, et les vaisseaux du Ponant n'ont, "en emport’’ qu'un peu plus d'un millier de canons de toutes espèces. Paradoxalement, c'est donc la marine de commerce qui constitue un client intéressant. Encore faut-il ajouter que seuls les navires d'un tonnage supérieur à 50 tonneaux possèdent des canons. Il ne faut donc pas surestimer le débouché qu'offre le complexe militaro - économique maritime, auquel s'ajoutent les besoins des forteresses, pour les quelles le gouvernement de Richelieu fait un gros effort (105). Rien, malheureusement, dans nos documents ne permet de trancher: quand il est question de canons, les textes ne sont guère explicites; rien sur les calibres, rien sur les destinations. Il est tentant de voir comme simple hypothèse dans la participation des Montullé – François - Descazaux, l'intérêt du négoce maritime. Il est, en revanche, évident que les commandes militaires ont leur part dans l'essor des forges de la baronnie d'Ancenis. En dehors des "fourneaux à canons;' d'autres actes, surtout nantais, émanant de Pierre Paris - qui semble être l'un des munitionnaires de Richelieu – montrent que les commandes portent sur la livraison de boulets à destination de l'armée d'Allemagne. Le trajet est long. Cela signifie-t-il que les autres forges de l'Est (Champagne) et du Centre ne sont pas en mesure de satisfaire aux besoins de l'armée française ?

 Peut-on aller plus loin, et tenter de mesurer la part que représentent ces commandes dans le développement de la métallurgie de l'Ouest? Car il est évident qu'il y a développement. Ainsi à la Vallée en 1639, les trois associés Paris, Montullé et Galais Belot décidèrent de convertir en forge un moulin à tan qu'ils venaient d'acheter (106). Le 22 décembre 1637 ces mêmes associés ont pris à ferme de l'abbaye de Melleray, un lieu ''pour faire construire des forges" (107); ce fourneau sera construit sous le nom de "Pas Chevreuil. Il y en a eu d'autres. Mais nous ne connaissons pas, pour l'instant, le nombre des installations nouvelles. En tout cas, les événements politiques n'ont pas influé de manière négative sur l'activité des forges de la région. Ce développement a cependant pour conséquence d'entraîner d'autres achats et d'autres locations, moins directement liés aux forges. Les fermiers achètent, en effet, des terres, des portions de forêts, des prés et des emplacements de moulins. Si nos localisations sont exactes, il s'agit de prairies situées en amont des digues de retenue des réservoirs indispensables pour faire tourner les roues hydrauliques. La métallurgie de l'Ouest est, en effet, handicapée par l'irrégularité des rivières bretonnes. L'insuffisance de l'eau entraîne l'arrêt pur et simple de l'activité industrielle. La métallurgie est une activité saisonnière qui s'arrête aux jours d'étiage, l'été, comme à ceux de gel, l'hiver. En retenant le maximum d'eau, on prolonge donc le nombre de jours ouvrables, ce qui a l'inconvénient majeur d'entraîner à l'aval, comme à l'amont, des inondations qui suscitent les plaintes et les demandes d'indemnités de la part des propriétaires ou locataires. On s'en prémunit en achetant les terrains les plus exposés, donc, en général, des prairies. On aboutit cependant à une situation assez paradoxale. D'une part, ces bourgeois commerçants industriels ne font qu'affermer l'essentiel de leur instrument de travail, tout en assurant non seulement le "menu" entretien, mais bien le "gros" entretien, voire, à l'occasion, des investissements non négligeables. D'autre part, ils achètent en toute propriété des éléments fonciers, forestiers ou autres, créant ainsi une situation d'interdépendance étroite entre parties louées et parties achetées. Aussi les nouveaux locataires de la deuxième moitié du XVIII' siècle n'auront-ils pas d'autre choix que de racheter à leur tour ces dépendances.

 Il est évident que ces achats, pour limitée qu'en soit notre connaissance, ne se justifieraient pas si l'activité des maîtres de forges n'était pas rentable. Or il est évident que les commandes militaires ne sont pas seules en cause. Nous savons, par la documentation ultérieure, que le produit en métal de la région de Riaillé n'était pas de qualité exceptionnelle, et, qu’au XVIII° siècle, la concurrence tant française qu'internationale l'avait relégué dans des productions à usage domes tique paysan régional, ainsi qu'au marché colonial, moins exigeant que le marché français. Il n'y a pas de raison de supposer que la qualité du produit ait été, au XVII° siècle, supérieure à ce qu'elle sera un siècle plus tard. La clientèle était, sans doute, moins regardante. A observer les inventaires après décès des paysans de Haute-Bretagne, on a l'impression que dans la première moitié du XVII° siècle, et déjà dans les dernières décennies du XVI° siècle, le nombre des objets en fer se multiplie. Alors que du temps de Noël du Fail le fer reste un objet relativement précieux (au point que les paysans, menacés d'être pillés par la soldatesque, se réfugient en forêt en emportant ce qu'ils possèdent de plus précieux, c'est-à-dire des objets de fer), dès le milieu du XVII° siècle, on assiste à l'enrichissement extrême de l'environnement quotidien en instruments de fer, à commencer par les clous. C'est cette production qui est la spécialité de la métallurgie bretonne (108).

 Est-ce à dire que le métier de maître de forges soit un tremplin vers l'enrichissement ? La question est complexe. Il est certain que pour les Vendôme, le revenu de la location des forges est intéressant, mais non primordial. Ainsi, en 1629, les forges de la Poitevinière sont affermées, bon an mal an, pour la somme 2.200 livres pour 7 ans. Le bail du 6 février 1629, nous montre d'ailleurs le procédé utilisé en cas d'investissement. Pour la construction d'un fourneau double à canon, le bail de la Provotière et de la Poitevinière est augmenté de 200 livres par an (soit 9 % du bail précédant) moyennant la prolongation automatique du bail pendant 7 ans supplémentaires, ce qui ,le fait aboutir à la date de 1642 (109).

 Ainsi la duchesse de Vendôme (qui agit seule, se contentant de la procuration de son mari; ce qui vient renforcer notre argumentation avancée ci-dessus) réussit-elle à conserver intact son patrimoine, à faire remplacer l'ancien four à canon par un neuf... Ce revenu annuel de 2.400 livres représente une part importante de celui de la baronnie d'Ancenis, qui se montait, en 1609, à 10.000 livres par an (110). Mais par rapport à l'immense fortune de Madame de Vendôme, ce revenu ne forme, dans le meilleur des cas, qu'entre 1 et 2% (et peut-être moins) des revenus de la duchesse...

 Il n'en va pas de même pour les locataires. On ne peut, évidemment calculer le chiffre d'affaire de l'ensemble des forges de la région de Châteaubriant. En 1614, les forges de La Poitevinière sont louées pour 3.600 livres (soit 2.400 pour la forge elle-même et 1.200 pour l'achat de 4000 cordes de bois tirées de la même forêt) (111). Beaucoup de marchés de fer dépassent ces chiffres. Trop d'éléments nous manquent pour pouvoir préciser mais nous avons l'impression que la situation était très rentable.

 En réalité, il convient de distinguer très nettement deux cas: celui du maître de forges installé sur place, qui s'occupe presque exclusivement des forges, mais est obligé de se déplacer à Amboise, à Paris, à Anet pour ses rapports avec les Vendôme, à Paris et à Nantes pour ses rapports avec l'armée, le pouvoir royal et les clients, et celui de ses associés, pour lesquels les forges ne sont qu'une activité parmi d'autres. Les Montullé comme les Descazaux sont d'abord des "négociants;' et ensuite des participants à la métallurgie. Tout se passe dans nos documents comme s'il avait existé une société (ou des sociétés) passée(s) entre les divers participants, sans que les archives nous aient livré un acte de société en bonne et due forme. L'on sait cependant qu'en matière de métallurgie bretonne, l'habitude, qui persiste d'après le barreau du Parlement de Bretagne en plein XVIII° siècle, est que les transactions ne soient que rarement mises par écrit, ou bien, lorsqu'elles l'ont été, ce fut sous la forme du contrat sous seing privé (112). Or il est évident que notre documentation privilégie le maître de forges en exercice. Pierre Paris nous a laissé une série de contrats classiques en la matière: achats de bois la grande affaire et la préoccupation majeure d'un maître de forge - transactions avec le monde paysan pour le transport du bois, des minerais, de la "castine’’ réparation de fourneaux et de roues de moulins et surtout contrats avec des clients. Ce sont là quelques éléments fragmentaires d'un ensemble complexe. Vers les années 1625-1640, qui ont correspondu à l'apogée de la gestion de Pierre Paris, les forges semblent orientées autant et plus vers la ville de Paris et le centre du royaume que vers la région et la ville portuaire de Nantes. C'est, peut-être, l'originalité essentielle de notre documentation. Encore convient-il d'être extrêmement prudent. Rien ne prouve que la documentation notariale conservée soit complète, ni surtout qu'elle exprime seulement un aspect de la réalité qu'il était nécessaire de transcrire par écrit. Ce qui fait qu'en matière économique l'on peut parfaitement justifier des points de vue parfaitement contradictoires (113).

 Dans la sécheresse stéréotypée des chiffres et des clauses notariales, il est, de temps à autre, quelques compensations pour le chercheur. Pierre Paris a fait deux testaments. Contrairement à la plupart des testaments bretons, rares et peu explicites, les siens ne sont pas trop avares de détails. Paris, qui s'était laissé tenter par les plaisirs de la chair, en éprouvait plus que des regrets au soir de sa vie. Son testament se propose donc d'assurer la subsistance aux "fruits de ses œuvres" et à leurs mères, les recommandant à la générosité de ses co-associés. Ce comportement, en des campagnes réputées austères, est celui d'un puissant qui a peu de scrupules, et auquel la société locale, clergé compris, n'a pas à opposer de frein efficace. Du moins Paris semble-t-il être resté fidèle, si l'on peut dire, à ses deux "amies’’. Le reste du testament est des plus classiques: l'énumération des messes, en nombre respectable, à lire pour le salut de son âme, les clauses habituelles de gratifications pour ses domestiques auxquels revient une partie de sa garde-robe, les charités indispensables "aux pauvres honteux." En somme rien de bien spécial et rien que de très classique en cette époque où commence le grand mouvement de la contre-réforme catholique de l'Ouest. Nous ne savons, en revanche, pas grand chose, - pour l'instant - des Montullé; sinon que vers le milieu du siècle, l'un des frères remplace d'abord, semble-t-il très progressivement Paris vieillissant. Après sa mort, un Montullé s'installe sur place.

 Cela situe l'activité de maître de forges à son juste niveau. Elle enrichit quelques individus -les maîtres de forges ne sont pas nombreux - mais elle n'est que l'un des éléments de l'enrichissement et de la montée sociale d'un complexe familial comportant un groupe restreint de parents très étroitement liées entre eux. Les Montullé, les François et plus encore les Descazaux ne doivent qu'une part de leur ascension sociale à la forge. A la vérité, la forge exige des disponibilités financières importantes. D'autant plus que l'attitude des Vendôme, comme celle de toute la haute aristocratie française (entre les mains de laquelle se trouve, jusqu'en 1789, l'essentiel de la propriété de la métallurgie) est celle de seigneurs hauts justiciers propriétaires, peu soucieux de s'engager eux-mêmes dans le "détail" de l'économie. Ils profitent d'un capital investi de longue date qu'en fin de compte ils n'ont même pas besoin d'entretenir puisqu'une très large part de cet entretien revient aux fermiers.

 Mieux : les forges constituent, surtout aux limites septentrionales de la baronnie d'Ancenis, très isolée, d'accès difficile et dénuée de toute autre activité économique, le seul moyen de valoriser des propriétés de valeur assez médiocres par ailleurs. Cela ne va pas sans problèmes pour les exploitants: le bois est une denrée qui se raréfie, la "mine" se trouve parfois dans des endroits disputés. Comment d'ailleurs toujours savoir, en ces vastes landes, à qui appartient la terre? En 1656, Urvoy de la Couldraye, procureur fiscal du prince de Conti pour la châtellenie de Nozay (les charges des grandes seigneuries appartenant à des princes du sang étaient parfois tenues, en Bretagne, par des nobles) proteste contre Montullé ''fermier général des forges de la Poitevinière, habitant à la Fosse, de Nantes, paroisse de Saint-Nicolas...qui fait tirer de la mine sur une lande de la paroisse d'Abbaretz..." (114).

 C'est donc le capital des négociants-marchands qui vient suppléer à l'insuffisance de l'investissement des propriétaires. Ce capital provient, sans doute, en partie des bénéfices de la vente des fers, mais plus sûrement encore, des activités non métallurgiques. Ne l'imaginons cependant pas très important. La baronnie d'Ancenis constitue un autre "morceau:' Dans la vente, ratée par l'absence de procuration de Françoise de Vendôme, de la baronnie à messire Claude, marquis de Chastel, elle est estimée valoir 350.000 livres, dont 190.000 payables au moment de la ratification de la vente par Madame de Vendôme (115). Et ce n'est qu'une partie de la fortune des Vendôme. Malheureusement, le document ne précise pas le pourcentage que représentent les forges. A titre de comparaison, la succession, plus que discutée, de l'un des associés à l'exploitation des forges, celle de noble homme Mathieu François, sieur de l'Isle, est estimé, en 1682, à plus de 80.000 livres (dont un office d'artillerie, non précisé, de 1.000 livres) (116). Il est vrai que la succession est pendante depuis un certain nombre d'années. D'un côté donc, la haute aristocratie proche de la famille royale, mais politiquement engagée contre elle, riche à millions, de l'autre, une bourgeoisie d'affaire, montante, dont la richesse se situe encore en dessous du seuil des 100.000 livres...

 

Comparaison de rentabilité

 

 Un autre héritier de la famille François, Pierre Descazaux de la Foliette, semble avoir été "propulsé" dans le négoce grâce à l'apport de sa femme Marie François. Un document tardif (de la fin du XVII° siècle) précise que "depuis son mariage ledit deffunt sieur Descazaux avait fait un grand négoce" (117). L'ennui est que l'affaire s'effondra avec une dette de 121.000 livres en 1689 et il fallut tout le génie commercial de son fils cadet Joachim pour rétablir la situation, ce qui n'empêcha nullement sa mère de favoriser l'aîné, pourtant moins entreprenant que lui, et surtout moins "chanceux:' Mais, à cette date, les forges sont passées dans d'autres mains, puisque celle de la Poitevinière a été vendue aux Charton et aux Lecourt, aux environs de l'année 1668.

 Finalement, on commence ainsi à entrevoir le milieu social qui a permis non seulement le maintien, mais encore un certain développement (dont l'ampleur est, il est vrai, impossible à préciser) de la métallurgie dans le Nord de la baronnie d'Ancenis au cours de la première moitié du XVII° siècle. Les familles bourgeoises montantes, locales ou d'origine normande (Alençon), accédaient à la noblesse de robe par le Parlement de Bretagne, la Chambre des Comptes et la municipalité nantaise.

 Dans l'ensemble cependant, l'extension du marché ferreux vers l'artillerie, favorisée par cette période de guerre civile, ne forme que l'une des composantes de l'activité normale des forges. Ces dernières continuent, pour l'essentiel, de ravitailler le marché local, qui comprend en dehors de la Bretagne, une partie des régions de l'Ouest: marges armoricaines, Anjou, et, sans doute, Poitou. Mais par Nantes, on pressent le démarrage (ou le développement) d'un marché d'outre-mer, qui a de la peine à trouver des débouchés accrus, du fait de la sévère concurrence de l'Espagne du Nord. Asturies et Pays basque disposent en effet, d'un traditionnel renom de haute qualité, à laquelle les produits des forges bretonnes ne peuvent et n'ont jamais pu prétendre. L'extension des affaires se traduit par l'augmentation du prix du bail. De 2.200 livres en 1623, le prix du bail passe, en effet, en 1655 à 4.000 livres, le produit du bois non compris (acte du 25 août 1655) (118). Pratiquement le coût du bail a presque doublé. C'est l'effet additionnel de la hausse des prix des produits ferreux (due plus à la complexité croissante des produits qu'à la hausse des prix proprement dite), de l'extension de l'appareil de production comme, très probablement, de l'accroissement substantiel du profit. Il convient cependant de rappeler que cette production reste très saisonnière et l'intérêt des petits contrats notariaux concernant ventes, achats et transports du bois est justement de souligner le caractère occasionnel et marginal de toute une partie de ce travail "industriel" (119). Mais, par là, elle apporte au monde paysan et à ses franges, un complément de travail et de ressources particuliè­rement bienvenu en période de chômage paysan saisonnier. L'industrie métallurgique est étroitement imbriquée dans le monde du terroir, alors que socialement, ses moteurs appartiennent à des mondes très différents. Cela n'a rien d'original et se retrouve dans toutes les industries extractives (encore qu'en ce domaine les forges n'utilisent que des minerais à fleur de terre faciles à extraire et ne donnent en aucune façon naissance à quelque chose qui pourrait ressembler, fut-ce de loin, à l'extraction très spécialisée des minerais de plomb argentifère).

 On le voit: le tableau que l'on peut esquisser à partir de la documentation notariale est nécessairement le reflet de ce qu'elle-même a de très partiel. Elle s'avère extrêmement intéressante en matière sociale, et reste, comme le plus souvent, très décevante en matière de technique et de commercialisation des produits.

 ]. M.

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Notes :

(92) - Ceux-ci nous ont été aimablement communiqués par Jean-François Belhoste ; qu'il en soit très vivement remercié.

(93) – Nous les avons collecté au moment de la rédaction de notre thèse sur la noblesse bretonne. Nous en avions longuement parlé avec le docteur Merle, le très remarquable historien de la Métairie de la Gâtine vendéenne, Cet article reflète ces dialogues d'antant.

(94) - La région de Châteaubriant et le Nord de la baronnie d'Ancenis ont été les mal aimés de la recherche régionale et celle-ci demanderait à être reprise sur une très large échelle. Ils sont pourtant intimement liés à l'histoire de la haute noblesse de Cour; mais celle-ci a été, de son côté, très peu étudiée, La documentation en est â la fois surabondante et très dispersée. L'histoire de la bourgeoisie nantaise du XVII° siècle est aussi mal lotie. On ne peut guère citer que quelques mémoires de maîtrise ainsi que les articles de vulgarisation de A. Gernoux, qui a été l'initiateur de nombre de chercheurs dans les archives notariales nantaises.

(95) - Cette étude est actuellement en préparation,

(96) - POCQUET (B,). Histoire de Bretagne / La Bretagne Province, T.V. (1515-1715), Rennes, 1913, 6 vol, p. 78-82 (avec 2 tableaux généalogiques). Pour type de procuration: A.N., M.C. : VIII, 564, du 13 octobre 1604. La procuration est donnée à ,Messire de Masoyer, sieur de Villedain, gouverneur de la ville et de la châtellenie d'Ancenis; ibid., VIII, 563, du 19 janvier 1604, au procureur fiscal de la châtellenie Pierre André, de Champeaux. La charge de procureur fiscal de la châtellenie a été de la plus haute importance pour les forges de la région de Châteaubriant. Au XVIII° siècle, les procureurs fiscaux ont souvent plus ou moins participé à l'exploitation des forges.

(97) - POCQUET (B.). Histoire de Bretagne, op. cit. p. 339-343

(98) - TALLEMANT DES REAUX. Historiettes Paris, Edition de la Pléiade, 1910, T. II, p,400 et 1 250 : "Madame de Vendôme, une belle idiote" Elle ne semble pas l'avoir été en ce qui concerne ses affaires. Elle était par ailleurs "une sainte et la mère des pauvres,"

(99) - Ce qui se traduit par la formule type : "N'ayant la procuration de Madame... mais s'engageant à la fournir’’ dans tel délai. Le code civil supprime cette relative indépendance de la femme mariée, César de Vendôme semble avoir voulu vendre une bonne partie des propriétés bretonnes, MEYER (J.), La Noblesse bretonne, t. II, p. 891-892.

(110) - Ibid. : VIII, 575, 17 décembre 1609. Location à Léon Aubrau (?), marchand à Ancenis.

(111) - Ibid.: VIII, 586, acte du 8 février 1614, fol. 44l. Le locataire est un certain Lancelot du Duchesnay, habitant à Saint-Aubin près de Pouancé, ce qui signifie .qu'il est probablement intéressé dans l'exploitation des forges de Pouancé.

(112) - POULLAIN DU PARC. Journal du Parlement de Bretagne... .-Rennes, 1769-1778, T. IV, chap. LXI, p. 241-243 etc. Le passage intéresse directement les modalités du commerce de gros du fer en Bretagne.

(113) - L'ambiguïté ne pourrait être levée qu'en cas de découverte de livres de comptes de fermiers, ce qui, pour le XVII° siècle, paraît peu probable.

(114) - A.D. Loire-Atlantique: E II, notaire Belon,

19 novembre 1656. MEYER (].). La noblesse bretonne, t. II, p. 903.

(115) - Ibid. : E II, notaire Belon, 9 juin 1652. C'est dans cet acte que César de Vendôme promet de fournir la signature de sa femme dans les huit jours.

(116) - Ibid. : 22 mai 1682, arbitrage de succession. Les Descazeaux y sont représentés en tant que descendants de Françoise François, fille de l'un des fermiers de La Hunaudîère et de La Poitevinière, épouse de Pierre Descazeaux, sieur de. La Folliette.

(117) - Lettre de noblesse de Joachim Descazeaux. A.D. Loire-Atlantique: B 92, fol. 19.J.

(118) - A.N, ,M.C. : CXV, 57, acte du 6 février 1629. A.D. Loire-Atlantique: E II, notaire Belon, acte du 28 août 1655.

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