MES SOUVENIRS DE CAPTIVITÉ

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 1ère PARTIE:

  

EN FRANCE

 

  

CHAPITRE I

 

~ ARRESTATION ~

 

Pour assurer la défense de la Patrie, la Première Guerre Mondiale envoya mon père, d'origine nantaise, dans le département du Nord. Sa gourmandise lui fit déguster pendant ses permissions les éclairs au chocolat VANDEVOORDE fabriqués par son futur beau-père. Après le conflit, il s'installa sous le clair de lune de Maubeuge(59) où je suis né en décembre 1920. Les pérégrinations familiales m'ont ramené ensuite à Nantes à partir de 1935.

 

DÉBUT SEPTEMBRE 1943

 

 Début septembre 1943, je prépare mes examens de rattrapage de stage de 2ème année dentaire dans l'école LEMÉE de Nantes(44). J'y habite rue Bonne Louise avec ma mère et ma sœur Solange. Mon père Henri MAINGUY, dentiste, est mort de tuberculose en juin 1940, séparé des siens, dans des circonstances très douloureuses que la guerre a amplifiées. Mon frère aîné Jacques, mobilisé puis prisonnier des Allemands en 1940, est libéré car infirmier non indispensable aux internés. Il a obtenu un poste de sous-chef de bureau à Nantes et s'est marié en février dernier avec Raymonde ORIEUX (2).

 

Pour aider ma famille à vivre, je donne, entre autres, des cours de Maths aux 6è-5è et 4è du collège St Donatien.

 

Depuis mon entrée en études supérieures, je ne suis plus chef de scouts, mais reste toujours en contact avec eux. Ainsi en juillet 1943, je participe comme intendant au camp scout installé dans la propriété de la famille BUREAU en la Meilleraie de Riaillé(44). Du fait de mon poste, je parcours la campagne à la recherche de nourriture et me lie d'amitié avec les familles BRUNET et HU ARD de la Forge de la Provostière.

 

Par la suite, cette amitié me permet de ravitailler ma famille ce qui est alors le problème majeur des citadins. A mon retour à Nantes, une fois par semaine, je prends mon vélo, l'embarque sur le car Drouin et vais faire mon ravitaillement à Riaillé.

 

NANTES - RIAILLÉ

 

Le 16 septembre 1943, le premier bombardement allié s'abat sur Nantes. Dans la soirée, Raymonde affolée nous alerte: Jacques n'est pas rentré et les bombes ont touché la rue du Moulin où il travaillait.

 

Je pars à la recherche de mon frère à son bureau, puis dans les hôpitaux et les cliniques. Cette course folle me fait croiser des situations abominables. Le 18, je découvre quelques restes épars de Jacques que je reconnais à sa ceinture et à sa montre. .

 

Solange et ma mère prennent peur.

 

-                      Çà risque de recommencer.

 

(2) Remariée à Georges BOURDAGEAU [ juillet 1989 à La Baule (44) ], elle est décédée sans enfant en 2000

 

 

Il faut fuir Nantes. En trois jours cent mille nantais quittent la ville. Le 20, je contacte Jean LEGENDRE, un ami scout, motorisé et muni d'un Ausweis (Laissez-passer) qui lui permet de se déplacer. Il accepte d'emmener ma famille à Riaillé chez les BRUNET que, dans la précipitation, je n'ai pu prévenir. Le soir, ceux-ci nous accueillent tant bien que mal. Le lendemain, les HUARD nous attribuent gratuitement à la Forge de la Provostière une petite maison en pierre près du château.

 

Situation de la Provostiére en Riaillé

  

Le 23 septembre, Nantes subit son deuxième bombardement. Heureusement la famille est à l'abri. De Riaillé, on entend cependant les déflagrations et nous apercevons des éclairs et des fumées. Solange a supporté le premier bombardement toute seule, enfermée dans l'appartement de Nantes. Le deuxième lui est insupportable. Elle craque et fait une crise de nerfs. Il faut tout l'amour et l'affection de son frère et de sa mère pour la rassurer et la calmer. Que d'émotions pour cette famille déjà laminée par le conflit !

 

 

LA RENCONTRE

 

Après les bombardements, l'école dentaire se réorganise provisoirement dans des baraquements. Les collèges et lycées sont, soit fermés soit délocalisés et tout est désorganisé. Je fais quand même les trajets à vélo pour suivre mes stages à Nantes et donner mes cours à Nort-sur-Erdre où s'est replié le collège St Donatien.

            '

Alors peu à peu mes idées s'organisent : depuis longtemps, toutes ces épreuves ont semé en moi le désir d'agir pour la défense de la France, mais quand il faut subvenir à la survie de sa famille, il est impossible d'envisager quoi que ce soit. Alors, je me dis :

 

- Nous sommes envahis, occupés. Tout est désorganisé. Nous sommes maintenant bombardés et nous ne pourrons nous débarrasser des Allemands qu'avec les Alliés. Nous ne nous débarrasserons d'eux qu'en mettant la France à feu et à sang. Autant que ce soit le plus vite possible... Si on a besoin de moi, je suis prêt à agir dans ce sens...

 

Au cours du mois d'octobre, dans une rue de Riaillé, je rencontre fortuitement Michel GUIRRIEC, un ami scout, que je reconnais malgré une barbe fournie et une nouvelle coiffure.

 

- Bonjour Michel.

- Bonjour Henri. Çà alors!

- Qu'est-ce que tu fais à Riaillé? Je te croyais en Allemagne!

 

- Comme tu le sais, j'ai été arrêté, il y a cinq semaines en distribuant des tracts "subversifs" et envoyé comme S.T.O (3) en Allemagne. J'ai eu chaud, mais j'ai réussi à m'enfuir en descendant du train à contre voie. Je compte sur ta discrétion pour ne pas être reconnu.

- T'inquiètes pas. Tu me connais, tu ne risques rien.

- Que fais tu toi aussi à Riaillé?

- Je viens de perdre mon frère dans le bombardement de Nantes du 16 et nous sommes réfugiés avec maman et Solange à la Provostière.

- Je te présente mes sincères condoléances et je comprends d'autant mieux votre douleur que j'ai perdu ma petite sœur dans la même tragédie. Depuis ma fuite,je suis devenu maquisard dans l'Armée Secrète. Je reviens du Vercors et me planque à Riaillé sous le nom de Michel OLIVIER.   .

- Et que faites-vous?

- Il existe une Organisation. On planque des gars et on s'occupe d'autres à qui on bricole ou fournit de faux papiers, etc.

 

Alors l'idée s'impose d'elle même et je prononce ces mots fatidiques:

 

- Maquisards. Çà m'intéresse. Je suis des vôtres.

- Je vais en parler à mes chefs, répond Michel. Bientôt, Michel me re-contacte :

 - C'est d'accord!

 

Ce type de scénario aurait pu se produire plus vite. C'est dans l'air du temps. Par la presse et la radio, je sais ce qu'est le maquis. C'est sûr, j'espère bien rendre service, mais j'ai aussi l'espoir de recevoir une formation militaire et de tenir un fusil. A partir de mon accord, je me dis très nettement:

 

- Je suis un soldat de la clandestinité. J'irai là où on m'enverra. Je ferai ce qu'on me demandera, sans restriction mentale, comme dans le scoutisme, même avec des états d'âme, mais dans l'obéissance...

 

J'annonce alors à maman que je suis entré dans la Résistance. Elle me demande tout d'abord comment. Je le lui explique. Aussitôt, je perçois son appréhension et ses réticences, mais avec son grand cœur, elle comprend.

Quelques jours après ces réflexions, je me rends chez ma grand-mère Clotilde MAINGUY et ma tante Madeleine, dentistes elles aussi à Nantes réfugiées à Thouaré-sur-Loire (44). J'aborde le sujet:

 

- Grand-mère, les Américains viendront bientôt nous délivrer.

- Il faudra les aider, n'est-ce pas?

- Bien sûr, Henri, c'est évident! répond-t-elle.

 

Cette discussion me conforte dans le choix que je viens de faire.

 

 

PREMIERS CONTACTS

 

Michel (Yannick dans la clandestinité) m'invite chez Briac LE DIURON (Yacco) près de l'église de Riaillé. Ce dernier est l'agent de liaison du Dr DUPÉ (Janvier) (4), médecin de Nantes, responsable local du maquis, qui s'est réfugié lui aussi à Riaillé chez les parents JEANNEAU qui tiennent un garage rue d'Anjou.

  

(3) Service du Travail Obligatoire

(4) Henri BOURET, ancien responsable des maquis de l'Armée Secrète de Bretagne, alors député des Côtes du nord, m'écrivait le 15 avril 1949 : "Je ne m'étonne pas que les signatures de Dupé et Yacco ne fassent pas autorité auprès des mouvements de Résistance. En effet, le premier a tout abandonné en décembre 1943, quelques jours avant votre arrestation et j'ai da remplacer le second le II!/' janvier 1944 par un camarade plus actif. "

 

Le dimanche 12 décembre 1943 chez "Yacco", je fais la connaissance de Claude GONORD, ancien caporal-chef de l'Armée de l'Armistice. En accord avec l'Organisation du maquis du département sous l'autorité du Général AUDIBERT, il vient de créer le "Maquis de Maison Rouge" qui porte le nom d'une ferme de Les Touches(44), son quartier général, appartenant à M. MARTIN... Claude un garçon d'une vingtaine d'années, d'environ Im70 et de bonne constitution est d'un abord facile et sympathique. Je me sens aussitôt en confiance.

 

Le 15 décembre, "Janvier" et "Yacco", en présence de "Yannick", m'annoncent qu'ils m'enverront très prochainement suivre un cours d'instruction militaire dans un lieu que j'ignore. Du fait de mon niveau d'instruction, je remplace un aspirant qui s'est récusé au dernier moment. A mon retour, je serai affecté avec un autre camarade à l'instruction des jeunes recrues du maquis du département.

 

Le lendemain soir, "Yacco" et "Yannick" passent à la maison pour me donner les instructions. "Yannick" me fait un plan du Maquis de Maison Rouge où j'irai rejoindre Claude.

 

- Henri,fais bien attention à toi, me dit maman.

- Rassurez-vous, madame MAINGUY, l'expédition est sans danger., affirme "Yacco"...

- Je ferai attention, maman.

 

Le vendredi 17 au matin, lors d'une nouvelle conférence au bourg de Riaillé chez "Yacco", j'apprends que je pars le jour même. De retour à la Provostière, grâce aux BRUNET, je rencontre un maçon qui repart sur Nantes. L'idée me vient de partir avec lui à Nantes rejoindre Claude qui habite avec son père, charpentier dans le quartier St Donatien, plutôt que de me taper le trajet en vélo jusqu'à Nort. A 3 heures, j'embrasse maman et quitte la Forge en camion.. Un peu plus loin sur la route, nous croisons Solange à qui j'adresse un petit au revoir. Mon stage ne doit durer que huit jours. Je suis donc parti pour... huit jours...

 

A 19 heures, je suis chez Claude. Après le dîner, il me fait un cours théorique d'armement, spécialement sur la mitrailleuse, puis nous partageons le même lit.

 

 

DÉPART EN TRAIN POUR L'ILLE-ET-VILAINE

 

Le lendemain matin samedi, nous partons de bonne heure. Le train est à 7H50. Il fait encore nuit. A la gare, nous retrouvons "Yannick" qui part en mission. Pendant que nous causons, il remarque un agent de la Gestapo auquel il a eu affaire au cours de son internement et c'est une belle frayeur. Nous jugeons prudent de sortir de la gare et entrons au café jusqu'à l'heure de notre train. Nous rentrons en gare sans Michel qui s'est éclipsé...

 

En quittant Nantes, pour longtemps, je regarde le port. Pour la première fois, je prends réellement conscience des dégâts accomplis par les bombardements de septembre: de nombreux bateaux ont la quille en l'air!!

A Rennes, nous trouvons un restaurant avec quelque difficulté, puis partons faire un tour en ville. Claude, attiré par les magasins, jette son dévolu sur une jolie trousse de toilette qu'il veut offrir pour Noël à Lucette, sa fiancée. Pour ne pas trop se charger, il décide de l'acheter au retour..., dans huit jours...

A deux heures, le train repart vers Dol-de-Bretagne(35). La campagne brumeuse de décembre défile derrière les vitres de notre compartiment. Claude me parle de sa vie militaire qu'il a quittée pour congé d'armistice. Il me montre des photos de camarades du 20ème Bataillon de chasseurs alpins dont il était caporal-chef... Nous entrons en gare de Dol et recherchons un train pour Plerguer (35) situé à environ 15 km à l'ouest. Deux gendarmes nous abordent:

 

- Vos papiers, s'il vous plait.

- Voilà!

- C'est bien, vous êtes en règle et... restez-y! précisent-ils.

 

 

Nous sommes en avance, car au départ de Nantes, il n'y avait pas d'autre train que celui du samedi.. Nous ferions bien le trajet demain dimanche tranquillement: quelques kilomètres à pied ne nous feraient pas peur. Mais il y a cette terrible valise pleine d'armes à trimballer que nous devons porter à deux; alors nous prenons le train de Dinan qui nous emmène à Plerguer.

 

 

LE MAQUIS DE PLERGUER

 

Ce petit village breton aux jolies maisons de granit semble paisible, mais, hélas, il est occupé par l'ennemi. Immédiatement, l'organisation d'un maquis groupé et permanent auprès d'un village occupé m'apparaît d'une folle imprudence. Comme nous devons y faire des tirs d'armes automatiques, je crois rêver! Je fais aussitôt part de cette impression à Claude qui la partage, mais me répond évasivement, sans doute pour ne pas augmenter mon inquiétude.

 

Chez le boucher GUILLOTEL, notre premier relais, nous montrons patte blanche: un morceau de page de livre découpé reçoit son complément. En avance de deux jours sur le programme, nous sommes les premiers arrivés. Mr GUILLOTEL a l'air de peu s'en préoccuper et peu concerné. Cela non plus n'est pas très rassurant!

 

En orange le Prieuré de Saint-Yvieux

  

Sur ses indications, nous partons sur la route de Plerguer à Le Tronchet, à la recherche d'une ferme-buvette-épicerie, où l'on doit nous donner de nouveaux renseignements. Il faut poser la question :

 

- " Connaissez-vous le capitaine Yves? "

 

Celui qui nous répond positivement nous indiquera où le trouver. Nous cherchons cette buvette dans le vent et la pluie. Il fait un noir d'encre en plein après-midi. Mon chapeau s'envole à plusieurs reprises. Après bien des tâtonnements, nous dénichons enfin le café de madame BRIAND. Nous posons la question. Un type se lève et vient vers nous.

 

 

PRIEURÉ DE SAINT-YVIEUX

 

Avec un camarade, il nous conduit un kilomètre plus loin au Prieuré St- Yvieux (5) sur la commune de Le Tronchet (35). Cette magnifique bâtisse édifiée au XVème siècle par des moines défricheurs est une ferme inhabitée jouxtant la forêt du Mesnil.

Notre guide, Léonard ARQUETOUS et son copain IZÉQUIEL sont des gars du Morbihan entrés en clandestinité pour échapper au S.T.0 (6). On leur a dit que le "Capitaine Yves" pourrait les faire passer en Angleterre. Ils l'attendent, mais il est absent.

 

La ferme du "Maquis de Plerguer" est entourée d'un mince réseau de barbelés à bestiaux. Cette protection nous semble bien inefficace et pourrait même se révéler bien gênante en cas de fuite précipitée.

 

Nous sommes arrivés de nuit et ne connaissons absolument pas notre position. Les copains présents nous font découvrir la maison d'habitation, ajoutée en 1910 aux bâtiments des moines, où l'on se restaure, puis la grange où nous irons dormir. Le Bois du Mesnil à 50 mètres doit permettre un repli facile en cas de besoin et on a même ménagé une petite brèche dans les barbelés à cette fin. Nous pourrons dormir tranquilles et le reconnaître demain!...

  

Golf du Prieuré de Saint-Yvieux en 2001

 

Quelques minutes plus tard, arrive l'adjudant de carrière "Rémy" qui remplace le "Capitaine Yves". Il revient de la gare de Plerguer où il a accueilli deux officiers résistants. L'un d'eux, le "Capitaine Robert" est un de nos instructeurs.

 

Le soir, à table, les langues se délient. Il n'est question que de ravitaillement et des bons tours à jouer aux Allemands pour se procurer le festin de Noël si proche.

 

Puis "Robert" s'inquiète du résultat d'un sabotage de voie ferrée... Ensuite, il nous questionne sur Nantes. Claude lui parle de son Maquis de Maison Rouge, puis de "Janvier" (Dupé).

 

Après souper, "Robert" nous fait examiner quelques fusils 36, un mauser de 1914 et une caisse de balles. Le tout est caché dans un trou pratiqué près de la cheminée de la grande pièce principale de la ferme. Il existe un autre dépôt plus important comprenant des armes à répétition. Nous le verrons aussi demain...

 

(5) Aujourd'hui un magnifique golf du même nom.

(6) Service du Travail Obligatoire en Allemagne.

 

Le rez-de-chaussée de la grange sert d'écurie. Une vieille Citroën s'y trouve sur cales. Ses roues et ses pneus ont été démontés pour éviter sa réquisition (7) : elle sert au ravitaillement du maquis. Au-dessus, un immense grenier à la charpente magnifique peut recevoir jusqu'à cinquante tonnes de paille et fait fonction de dortoir. On y accède par une courte échelle escamotable installée au-dessus des mangeoires.

 

On remonte l'échelle. Nous sommes une quinzaine. Je m'installe près de Claude. Un copain se blottit contre la toiture et déplace quelques ardoises pour s'enfuir si besoin, précise-t-il à son voisin. Extinction des feux. La journée a été longue et fatigante. Je me couche dans la paille et m'endort presque aussitôt.

 

 

ARRESTATION

 

Le dimanche 19 décembre 1943 à quatre heures du matin, je suis réveillé en sursaut par la lumière électrique: on parle. Que dit-on ?

 

- C'est toi Georges?

- Oui

- Qu'est-ce tu fous là à c't'heure?

- Envoie l'échelle. On va être attaqué. Faut se débiner.

- Merde! J'te l'envoie tout de suite...

 

Mais je suis tellement fatigué que je ne prête pas l'oreille et comprends seulement qu'un certain Georges demande qu'on lui envoie l'échelle et... je me rendors.

 

Je me réveille bientôt à nouveau en sursaut. Un type gueule:

 

- Raus!

 

Le grenier est plein de S.S. mitraillette au poing.

 

- Oh non! C'est pas vrai! me dis-je. Et si, c'est vrai...

 

Claude, à côté de moi, dort toujours à poings fermés. Nous avons bien cinq fusils à portée de mains, mais toute résistance est impossible. Je me redresse, ajuste ma veste sur mes épaules et lève les bras en l'air en m'appuyant le dos au mur, car j'ai les jambes qui tremblent. Je n'en mène pas large.

 

J'essai de prévenir Claude avec de petits coups de pied, mais rien n'y fait. Il dort toujours. Un S.S. le réveille à coups de bottes dans les côtes, puis vient me fouiller rapidement. Il m'oblige à retirer ma veste.

 

Je descends l'échelle avec un coup de pied quelque part, plus vite que je ne l'ai monté tout à l'heure. En bas, un autre S.S. me fouille à nouveau, puis m'autorise à baisser les bras. Il ne m'a laissé que mon mouchoir, mon chapelet et mon tabac.

 

Nous sommes ensuite mis au mur sans ménagement. Quelques-uns portent des menottes. "Rémy" et les deux officiers sont emmenés dans la maison d'habitation en face où ils sont interrogés tout spécialement. Nos paquetages y sont restés et sont fouillés en règle.

 

Comme il n'y a qu'une porte de sortie par laquelle nous pourrions nous échapper, peu de soldats restent à nous garder. Nous en profitons pour communiquer à voix basse. Je suis à côté de Claude.

 

(7) Stratagème utilisé dans toute la France.

 

- Henri, attention! Qu'as-tu fais du plan de Maison Rouge? Ne révèle rien là-dessus! T'inquiète pas. J'ai jeté le plan que Michel m'avait donné dans les W.C. du train de Rennes et je tiendrai ma langue.

 

D'autres copains parlent entre eux:

 

- C'est Georges qui nous a trahis. Il a des menottes, mais c'est bidon. On l'aura celui-là. Il perd rien pour attendre.

- Tu as vu, le copain planqué contre la toiture a réussi à se débiner, il n'est plus avec nous (8).

 

Les Allemands nous rendent notre pain trouvé dans le réfectoire et nous laisse manger un peu. Je vois nos deux officiers avaler des documents en même temps. Quant à moi, je suis bien trop malade pour avaler quoi que ce soit.

 

A l'aube, des renforts allemands arrivent. Je crois alors qu'on va nous fusiller et je reste pourtant dans la même position jusqu'à midi.

 

Le nez au mur, devant ma mangeoire, comme un écolier puni, les pires réflexions me passent par la tête... Je pense à mon passé. Par éclairs, affluent bons et moins bons souvenirs. Ma vie est finie. C'est la fin. Je nous imagine, alignés au mur, les mitraillettes en position de tir... Je prie et, pour la première fois, la Sainte Vierge veille sur moi et mes compagnons d'infortune, et me rend l'espoir. J'en suis quitte pour la peur.

 

Henri MAINGUY & Pierre AUBRY

 

  

EMBARQUEMENT EN CAMION

 

On nous rend nos effets délestés de tout ce qui est précieux: mon portefeuille et la montre en or de papa que maman m'a offert depuis sa disparition. Un militaire allemand, sans doute par esprit de corps, rapporte à Claude une des photos de ses chasseurs alpins. Puis on nous met des menottes et nous rejoignons la route. Là, on embarque dans des camions avec des gars des environs arrêtés pour la même cause. Nous sommes maintenant plus d'une vingtaine. Notre nombre ira d'ailleurs croissant dans les huit jours à suivre. Plusieurs chefs de Rennes viendront nous rejoindre en prison, sans doute dénoncés par des gars de Plerguer.

 

Dans un des camions, monte Joseph AUBRY âgé de quarante-quatre ans. Il a été arrêté à 8h. Gros propriétaire d'environ cent hectares et marchands de bestiaux, il a mis à disposition du maquis son Prieuré de St-Yvieux inhabité. Il s'en mord d'autant plus les doigts qu'il n'y a pas quinze jours, il a dit à son fils Pierre, âgé de vingt-deux ans :

 

(8) Je l'ai su à Compiègne... Comme je l'apprendrais 60 ans plus tard par Pierre AUBRY de Plerguer, ce prévoyant et rusé copain, assez fluet, a réussi à se planquer sous la transmission de la Citroën. Il attend sans bouger et entend tout. Il va attendre longtemps, mais pas pour rien.

 

 

- Nos sacrés maquisards ne sont pas assez discrets. Ils se baladent à découvert.

- Tu crois?

- Et comment! Tout le monde connaît leur cache. Çà va mal finir et on va nous arrêter.

- Partons en Angleterre.

 

Puis les affaires en cours les ont occupés et le projet a été reporté (9).

 

Dans le camion, menottés deux à deux, nous sommes accompagnés par deux S.S. Nous n'avons pas la moindre idée de l'endroit où nous allons. Les Allemands ne nous ont rien dit et nous avons intérêt à fermer notre gueule. Alors, comme tout le monde, je la boucle et patiente.

 

Stèle commémorative de la rafle de Saint-Yvieux

 

  

GEORGES

 

Un dénommé Georges avait réclamé l'échelle pendant mon sommeil. Pendant la matinée de notre arrestation, il semblait avoir un traitement de faveur malgré ses menottes. Il fut emmené à Rennes et rapidement relâché comme je l'appris à Compiègne par les camarades pris avec moi. Ils m'apprirent également qu'il nous avait vendus.

 

En 1949, à cause de documents administratifs, je pris contact avec Henri BOURET, ancien responsable des maquis de l'Armée Secrète pour la Bretagne, alors député des Côtes-du-Nord, et lui posait quelques questions sur les conditions de mon arrestation.

 

            Il me répondit :

 

- « Quant au mouchard dont vous me parlez, GEORGES, il a été exécuté en février 1944 par le maquis de la Hunaudaye (Côtes-du-Nord)."

 

En juin 2001, répondant à la curiosité de mon fils Robert, je me rends sur place. A Plerguer, nous rencontrons Pierre AUBRY, quatre-vingts ans, le fils de Joseph l'ancien propriétaire du Prieuré Saint-Yvieux. Nous le questionnons. Il nous confie bien des détails que j'ai relaté ci-dessus. Il nous fait visiter la grange de mon arrestation. Le bar du restaurant du magnifique golf qui remplace l'ancienne exploitation agricole se trouve exactement à l'endroit où je fus arrêté cinquante-sept ans plus tôt.

 

 

(9) Renseignements fournis par M. Pierre AUBRY - Le Puits - 35540 PLERGUER en juin 2001.

 

Enfin, Robert veut savoir ce qu'est devenu le mouchard. Pierre AUBRY, après quelques précautions de langage, nous conte ce qui suit:

 

Guy LÉON, originaire des Côtes-du-Nord ou du Finistère, était en 1943 ouvrier de la ferme DELANOUE au Brignoux-en-Plerguer, à trois cents mètres du Prieuré de St- Yvieux. Ce grand blond avait été d'abord un bon maquisard du Prieuré, sous le pseudonyme de GEORGES, puis, d'après ce que les camarades m'ont dit à Compiègne, avait voulu prendre l'ascendant sur les autres membres du groupe et même le diriger. Dès cet instant, il fut mis à l'écart ce qu'il n'accepta pas.

 

D'après les AUBRY par appât du gain, car les Allemands payaient les trahisons, ou par vengeance, d'après mes camarades, GEORGES vendit ceux de St-Yvieux.

 

Contrairement à l'affirmation d'Henri BOURET, Pierre AUBRY nous a assuré que le camarade qui avait réussi à s'échapper en se cachant sous la Citroën, était un excellent tireur au pistolet. Dès le 21 décembre, soit deux jours seulement après sa trahison, Guy LÉON tombait à Guingamp (22) sous les balles de ce bon tireur.

 

Attestation de Claude GONORD Attestation de Henri BOURET

 

 

 

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